Un plan culte

«Qu'est-ce qu'un musicien culte ?» Voilà une question à laquelle cette demie-saison musicale permettra sans doute de répondre, tant elle s'annonce riche en artistes singuliers, en légendes vivantes et en personnalités hautes en couleurs. Rendu des copies dans quatre mois. Stéphane Duchêne.

Ne boudons pas notre plaisir. Sur le papier au moins, il y a fort longtemps qu'on n'avait vu à Lyon se dessiner un automne aussi «rock n'roll», pour reprendre les mots de Sean Bateman, dans Les Lois de l'Attraction. Et d'attractions, cette rentrée n'en manquera pas. On le sait : «Être un programmateur libéré tu sais, c'est pas si facile» chante le refrain bien connu des Lyonnais (lire l'interview avec le collectif Grnd Zero). N'empêche que les différents acteurs locaux des musiques actuelles, des plus petits (Sonic, Kraspek, Kafé) aux plus gros (Transbordeur et Épicerie Moderne, qui remporte cette année encore la palme du meilleur boutiquier), se sortent les doigts du séant pour nous offrir le meilleur avec les moyens du bord et un maximum d'inspiration. Au point que même chez les groupes lyonnais, on sent comme une espèce d'émulation au point qu'on miserait bien quelques drachmes sur le futur des Salmon Fishers, Ronan Siri ou Taïni & StroNgs (lire l'encadré Découvertes). Certaines semaines, le mélomane qui n'a pas la chance d'être au chômage ou d'avoir le «cancer de l'assistanat» devra prendre un congé sans solde et certains soirs avoir le don d'ubiquité (ou avoir lu le Petit Bulletin) : du protéiforme Saul Williams aux bluesmen du désert Tinariwen, de l'Alsacien Rodolphe Burger à l'Auvergnat Jean-Louis Murat, de Metronomy à The Horrors, d'Herman Düne à Cascadeur, de Timber Timbre à Bonnie «Prince» Billy, de Ghostface Killah à JoeyStarr, de John Cale à Patti Smith (et on en passe, lire notre sélection), il y a du beau monde. Ultime preuve de ce renouveau : comme le requin attiré par l'odeur du sang, le critique rock parigot par celle du talent provincial, ou le banquier Pigasse par celle des biftons, on fêtera comme un symbole le grand retour, dans une saison déjà riche en festivals (Just Rock ? Big Tinnitus, Nouvelles Voix, Riddim...), de celui des Inrocks (le journal du banquier Pigasse justement). Un festival longtemps déserteur de la capitale des Gaules, au point que, frappé d'anosognosie musicale, on ne se souvient même plus de quand date sa dernière visite. Tête de culte
Surtout, surtout, il n'y a qu'à voir le visage de Nina Hagen en Une de ce journal pour se rendre à l'évidence : cette saison aura, avant toute chose, une tête de culte. Certes, le qualificatif est flou, parfois galvaudé mais il parle néanmoins à tout le monde et en cette saison musicale, il s'y déclinera sous toutes ses formes, en sera d'une certaine façon le fil rouge. A priori, guère de points communs entre ces vieilles goules coulantes de Nina Hagen et Alice Cooper, les moines-soldats du rock indé Chokebore, Pinback ou Low, le barde à barbe alt-country Bonnie «Prince» Billy ou les légendes officielles de l'histoire du rock que sont le grand John Cale, ex-Velvet, et la poétesse-punk-beatnik à poils drus Patti Smith, le Contador du rock Pete Doherty, le doucereux JoeyStarr et même ces vieux insectes métallo-chamallow de Scorpions, en passe de raccrocher dards et guitares au cours d'une ultime tournée (avant une probable et dispensable résurrection en déambulateur). Tous à leur manière sont des musiciens cultes. Qu'est-ce à dire ? Au fond, un artiste culte c'est souvent un ancien pilier du temple underground que la postérité, la valeur artistique ou un malentendu (Scorpions) a transformé en artiste officiel mais pas trop (John Cale, Patti Smith), ou en bête de foire (Nina Hagen). Ou même carrément en meilleur groupe du monde que personne ne connaît (Pinback, Chokebore, Bonnie «Prince» Billy) et c'est tant mieux, parce qu'il y a des artistes cultes qu'on n'aime pas partager, pour la bonne et simple raison qu'ils ne le sont que pour nous. Encore plus au fond, il y a toujours cette idée d'avoir construit son propre mythe sur des valeurs ou des «exploits», comme on le disait pour les héros de la mythologie, qui font toujours leur petit effet : la provocation, des convictions, le refus du système, une volonté farouche d'indépendance, l'avant-gardisme, une tête bizarre, un tube, un décès prématuré dans son propre vomi. Des exploits souvent passés (surtout pour le coup du vomi, dont on ne revient pas) qui véhiculent du coup chez le fan une certaine forme de nostalgie, de mélancolie d'une jeunesse perdue. Ça marche toujours ça, le coup des «années bonheur». Peu de groupes récents parmi les précités, peu de musiciens dont on ne regrette la belle jeunesse en même temps que la sienne propre. Même des groupes comme Herman Düne, relativement jeune, est culte non pour ses disques actuels, excellents, mais de par son parcours, atypique, et du nôtre. Du temps où on s'en foutait de voir un concert dans un garage debout sur un tabouret à trois pattes. C'est sans doute ce qui pour beaucoup rendra cette rentrée très spéciale et si précieuse. Que certains mélomanes insatiables, fans indécrottables, finiront même peut-être un peu éreintés : la tête dans le culte.

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