Z comme zéro

Théâtre / Décevante relecture d’Une saison en Enfer aux Subsistances. En tentant de donner du corps aux poèmes de Rimbaud, Lukas Hemleb les dilue dans une mise en scène sans queue ni tête jusqu'à les rendre assommants. Nadja Pobel

Tout ne commence pourtant pas si mal. Dans un plateau sombre, ouvert au public sur ses quatre côtés, deux musiciens interprètent des nappes musicales qui ont un véritable souffle et qui impriment au spectacle un rythme de course assez prenant. Aux manettes, un duo de jazz américano-japonais de haut vol : Ned Rothenberg (instruments à vent) et Kazuhisa Uchihashi (guitariste acoustique, basse et daxophone, instrument en bois joué à l’aide d’un archet). Tout au long de la pièce, leurs parenthèses seront des respirations nécessaires dans un long tunnel asphyxiant d’une heure trente. Ils accompagnent pertinemment la fougue contenue dans les écrits de Rimbaud, à l'inverse de ce que transmettent les acteurs. Ils sont trois (mais pourquoi pas un, deux, quatre ou cinq ? Ce chiffre reste assez énigmatique…). Leurs voix passées aux micros HF se superposent. Ils parlent dans une simultanéité réglée au millimètre mais cette triple prononciation annule plus souvent la portée du texte qu'elle ne lui donne une amplitude, d’autant plus que les mots de Rimbaud sont vociférés au public sur un ton monocorde qui, là encore, interdit de sentir toutes les nuances du texte.

À hue et à dia


Il en résulte un Rimbaud animal dont le texte est régurgité. Des sons de basse-cour et de ferme sont parfois diffusés en bruit de fond — drôle de sensation que d'entendre des gloussements de dindon ou des cris de cochons résonner aux Subsistances. Hemleb dit aimer la rugosité (il avait travaillé à un beau spectacle dépouillé sur Bacon interprété par Denis Lavant) de Rimbaud dont il a découvert les mots à 17 ans, à l’âge même où le poète les écrivait. Pour parfaire cette âpreté, Hemleb a donc travaillé avec le plasticien Tadashi Kamawata qui signe un décor en bois brut, immense Z couché par terre dans lequel les musiciens se terrent et que les comédiens traversent continuellement, donnant une fausse impression d’énergie. Ces déplacements permanents ajoutent à l’incompréhension et à l’absence de transmission du texte. Rimbaud n’existe vraiment que dans les dernières minutes du spectacle lorsque le ton se fait moins déclamatoire. Et nous reviennent alors ces frissonnants vers susurrés par Anna Karina et Jean-Paul Belmondo en épilogue de Pierrot le Fou : « Elle est retrouvée – Quoi ? – L'Éternité – C’est la mer allée avec le soleil ».

«Z», je me crois en enfer donc j’y suis
Aux Subsistances, jusqu’au samedi 24 septembre.

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