We need to talk about Kevin

Troublant, ambigu, inquiétant, le nouveau film de la Britannique Lynne Ramsay repose sur un propos fort et complexe, ainsi que sur une actrice formidable — Tilda Swinton. Mais sa mise en scène, faite de tics visuels et de symboles appuyés, aurait gagné à jouer la simplicité. Christophe Chabert

Eva se réveille un matin, quelques mois après le drame qui a détruit sa vie. Sa maison, une bicoque branlante aux volets continuellement clos, a été aspergée de peinture rouge sang. Plus tard, au supermarché, elle doit subir les regards accusateurs des autres clients. Mais plutôt que de se révolter, elle semble leur donner raison et s’enfoncer dans la culpabilité. De quoi se sent-elle coupable ? De la tuerie commise par son fils Kevin dans son lycée, allusion à peine voilée au massacre de Columbine ? Oui, mais la raison est plus profonde encore. Au fil du maillage temporel savamment tressé par Lynne Ramsay (d’après un roman de Lionel Shriver, qui racontait l’histoire à travers la correspondance de la mère à son fils emprisonné), le spectateur va découvrir qu’Eva était une femme libre, passionnée, cultivée, qui s’est mariée trop tôt à un homme trop conformiste. À la naissance de Kevin, ce n’est pas une épiphanie maternelle qui s’est produite, mais une sorte de dépression post-partum qui l’a conduite à détester cet enfant, ses cris et ses caprices.

Portrait crashé d’une famille modèle

En grandissant, Kevin est devenu un monstre froid, manipulateur et cruel. Mais la causalité entre ces deux événements (la mère qui n’arrive pas à l’aimer, l’enfant qui développe une misanthropie aiguë envers ses semblables) n’est jamais tout à fait établie par le film. À l’image de la narration déconstruite et du jeu, tout en ruptures et en failles, de Tilda Swinton, We need to talk about Kevin se refuse aux discours faciles et aux vérités simplificatrices. Ramsay fait preuve d’une grande subtilité pour conserver la complexité de ce portrait en éclats d’une famille qui dysfonctionne à partir d’inexplicables malentendus. Là où en revanche elle s’avère beaucoup moins fine, c’est lorsqu’elle souligne son propos par une mise en scène qui multiplie les effets de styles, les symboles et les rimes visuelles.
Pas que Ramsay ne soit pas douée pour ça (au contraire, le film est assez impressionnant dans sa forme), mais cette façon de signer chaque image et d’en redoubler les intentions par des gros plans tapageurs et fétichistes (sur de la nourriture, essentiellement) détourne régulièrement l’attention d’un propos qui n’avait pas besoin de cela pour être fascinant. En même temps, l’honnêteté oblige à dire que We need to talk about Kevin est un film qui ne s’oublie pas, et que le travail, même emphatique, de Ramsay à la mise en scène n’y est peut-être pas pour rien.

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