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L'art lyonnais du roman
Par Dorotée Aznar
Publié Vendredi 23 septembre 2011 - 6357 lectures
Photo : © David Ignaszewski
Alexis Jenni, Éric Sommier et François Beaune ont placé Lyon au centre de la rentrée littéraire nationale. Au-delà de leur commune origine géographique, les trois auteurs ont fait de leurs romans des laboratoires où la fiction et la réalité, le local et le global s’affrontent et se complètent. Christophe Chabert & Stéphane Duchêne
Deux constats s’imposent : d’abord, L’Art français de la guerre, Dix et Un ange noir sont de très bons romans, étonnants, novateurs, très éloignés des canons de la littérature «à la française» ; ensuite, ce sont des romans très français, au sens où ils n’hésitent pas à s’inscrire dans une réalité française très concrète (et même lyonnaise, parfois, voir les réflexions incisives sur Lyon chez Jenni ou l’utilisation du Progrès chez Beaune). Ce jeu entre le local et le national, le particulier et l’universel, l’intime et le politique ou la métaphysique, s’avère par trois fois passionnant.
« Guerre » épaix
L’Art français de la guerre d’Alexis Jenni commence par le réveil brutal de son narrateur, au moment où la guerre du Golfe débute.
Réveil social : il vomit son existence d’homme marié, de père et de cadre parisien, rentre à Lyon et se réfugie dans une vie à minima. Cette ligne tragi-comique, qu’on peut qualifier de houellebecquienne, va être brisée par une autre, presque hugolienne : la rencontre avec Victorien Salagnon, peintre croisé au marché des créateurs sur les quais de Saône, dont il va raconter l’Histoire en autant de romans qu’il a connu d’épisodes guerriers. Car le parcours de Salagnon, c’est celui de trente années de guerres françaises : l’occupation, le maquis et la libération, l’Indochine et l’Algérie.
Jenni insuffle une dimension épique à ces récits aux descriptions vertigineusement détaillées, renvoyant aux films de guerre hollywoodiens qui immergent le spectateur dans la sensation du combat. Mais l’ambition de L’Art français de la guerre n’est pas que romanesque, elle est aussi polémique au sens noble du terme : sur quoi a-t-on bâti le pays qui est le nôtre ? Qu’est-ce qui, dans notre passé, vient « commenter » notre identité présente ? La réponse de Jenni, brillante, pose la France comme une nation où la violence est si ancrée qu’on a réussi, au fil des conflits (même intérieurs), à la rendre efficace et « invisible ». C’est surtout pour lui une nation où la langue se meurt, ce qu’il conjure par l’extrême précision de son style, cette façon de peser et peser encore le moindre mot, jusqu’à la phrase juste.
Un héros très discret
Dans son premier roman Eric Sommier a choisi lui aussi d'imbriquer à sa manière, l'universel et le particulier, la «grande» histoire, celle de l'incendie du tunnel du Mont-Blanc le 24 mars 1999 et la destinée intime d'un de ses protagonistes.
Car si Dix est une fiction, l'auteur a choisi d'y rendre hommage, en changeant son nom et en lui inventant une vie, à Pierlucio « Spadino » Tinazzi, héros présumé de la catastrophe. « L'épée » comme on l'appelle donc, baptisée ici Lucio, est motard. Il travaille pour la sécurité du tunnel du Mont-Blanc, qu'il est chargé d'inspecter chaque jour sur son deux roues. Quand un camion belge prend feu, il est en pause mais comprend plus vite que tout le monde qu'un drame sans précédent est en train de se nouer. Quand il enfourche sa moto, il n'y a déjà plus rien à faire, ce qui tombe assez bien vu que personne ne semble trop savoir quoi faire, justement. Pendant de longues minutes, en contact avec ses collègues de la sécurité mais presque hors du monde et hors du temps, il va faire des allers-retours dans cet enfer pour tenter de sauver le maximum de gens, «dix» en tout.
Intriqué dans ce récit haletant au dénouement inéluctable, Sommier dévoile des éléments de la vie de Lucio, qu'il imagine faite de petites frustrations et de ratés, de petits bonheurs aussi qui ne suffisent pas à en faire un grand. Et pose la question : qu'est-ce qui fait un héros ? Lucio en est-il d'ailleurs un ? Le rapport officiel établira que le vrai Pierlucio Tinazzi n'a sauvé personne, même pas lui-même. Pourtant chaque année, des dizaines de motards lui rendent hommage devant la plaque qui lui est dédiée à l'entrée du Mont-Blanc, comme un héros à la fois ordinaire et imaginaire.
Noir c'est noir
Un sauveur, c'est aussi comme ça que se rêve Alexandre Petit, anti-héros du deuxième roman de François Beaune, Un Ange Noir.
Un sauveur pour un monde pourrissant et décadent. Preuve qu'un nom peut déterminer un destin, Alexandre voudrait être « Grand » mais n'est que « Petit ». À 37 ans, il est vieux, vieux garçon « né vieux dans un pays de vieux ». Il vit à Lyon chez sa mère avec laquelle il participe de temps à autre à un jeu télévisé et, plus quotidiennement à un jeu pervers fait d'amour faisandé et de haine fusionnelle. Alexandre Petit n'est pas, de son propre aveu, «sympathique». Quelque chose fait que les gens ne l'aiment pas. De là à croire qu'il aurait pu tuer Elsa, sa jolie collègue de la SOFRES, retrouvée morte dans son bain, sous un linceul de canards en plastique... Lui-même se pose la question. Dans le doute, tandis que la police et la presse enquêtent, il est en cavale. Et à mesure qu'il se la pose, cette question, sous la plume à l'étouffée mais étincelante d'un François Beaune taquiné par Un Tueur sur la Route d'Ellroy, Petit dévoile une personnalité non seulement troublante mais terrifiante qui sème le doute par petites touches, dénégations, esquives, théories fumeuses, confessions voilées : un de ces petits tas de haine de soi et du monde (au fond, c'est pareil) qui fait l'engrais des tueurs d'un jour, ou de toujours : les Travis Bickle (Taxi Driver), les Anders Breivik (tuerie d'Oslo).
Avec en creux, cette question que pose François Beaune à travers Alexandre Petit : comment savoir qu'on est passé à l'acte quand on est sidéré par sa propre folie ? Comment savoir qu'on a l'âme noire quand on se croit ange de pureté ?à lire aussi
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