article partenaire
Quand on arrive en livre !

Drive

Déjà remarqué avec la trilogie Pusher et le brillant Bronson, Nicolas Winding Refn s’empare d’un polar de série B trouvé par son acteur Ryan Gosling et le transforme en magnifique geste de mise en scène, jouissif d’un bout à l’autre, remettant au goût du jour les élans pop du cinéma des années 80. Christophe Chabert

Dix minutes chrono. Il suffit de dix minutes pour que Nicolas Winding Refn fasse battre notre pouls au rythme de son nouveau film. Dix minutes chrono, c’est le temps (réel) que met un mystérieux chauffeur sans nom (Ryan Gosling) pour conduire une poignée de voyous masqués et les aidés à accomplir un casse parfait, sans accroc ni violence. La méticulosité du personnage, sa science de la route, des distances, du temps qu’il faut à une voiture de police pour arriver sur les lieux du crime, fusionne avec celle du cinéaste, expert en fluidité cinématographique qui se paye le luxe de souligner son art en laissant bourdonner un beat techno métronomique et hypnotique sur la bande-son, au diapason de son découpage et de son montage. Au terme de cette introduction étourdissante, on a redécouvert le sens du mot virtuosité, ce bonheur de se laisser absorber dans un spectacle jouissif.

Sexy beast

À vrai dire, on ne se hasardera pas à louer les qualités scénaristiques de Drive. On peut même dire que le script n’a rien de renversant, et qu’entre de mauvaises mains, il aurait pu donner une série B anodine qui aurait fini sa route directement dans les bacs DVD. Le point de départ (le chauffeur de truands la nuit est cascadeur de cinéma le jour, et rêve de devenir pilote de stock car !) est absolument improbable. Les mafieux avec lesquels il va avoir maille à partir sont des caricatures assumées, prétexte à un défilé de tronches burinées (dont ce bon vieil australopithèque de Ron Perlman !) s’exprimant en dialogues sévèrement burnés. L’un d’entre eux explique même que dans le temps, il produisait des films «sexy» que «les européens adoraient». Rire du cinéphile qui voit bien à quoi il fait allusion : le cinéma d’exploitation des années 80, dont Winding Refn (qui est Danois) reprend les codes et les figures pour en faire l’horizon référentiel de son film à lui.

Passent donc sur l’écran les fantômes de Michael Mann période Le Solitaire, ou de William Friedkin à son apogée avec Police fédérale Los Angeles… Fantômes stylistiques, notamment grâce à un choix musical outrageusement vintage et synthétique, mais aussi thématiques : le «driver» Gosling, visage impavide, verbe rare et motivations opaques, est-il un héros ou un salaud ? Un hors-la-loi romantique ou une machine à tuer révélant de-ci de-là quelques fêlures intimes ? Le voilà en tout cas obligé de secourir une jolie voisine (Carey Mulligan, définitivement épatante), dont le mec, tout juste sorti de prison, s’est fait repasser après un casse qui a mal tourné. Par secourir, on entend dégommer l’un après l’autre ceux qui vont s’attaquer à elle. Ce qui permet à Winding Refn de ne jamais lésiner sur la violence, le temps de quelques scènes électrisantes qui participent largement au plaisir décomplexé que procure le film.

Le baiser du tueur

Décomplexé, c’est le mot qui convient. Car le cinéaste ne se demande jamais si ce qu’il raconte est crédible, si ses personnages sont fouillés, si ses situations ne sont pas outrées. Il n’a qu’un seul Dieu : la mise en scène. Chaque séquence, chaque plan de Drive est porté par cette foi-là : le cinéma peut tout, à partir du moment où il est fait avec talent et passion. Winding Refn, en cela, fait corps avec son acteur Ryan Gosling.

Gosling est ici un bloc de chair qui concentre en permanence toutes les pulsions de son personnage. Lors d’un passage mémorable dans un ascenseur, il délivre un baiser fougueux à sa partenaire tout en massacrant un truand enfermé avec eux. Baiser amoureux ou protecteur ? Réflexe animal ou élan sentimental ? La surface Gosling reste placide, et Winding Refn en joue à son tour ; lui aussi ne travaille que la forme, l’emmène vers des sommets d’élégance ou de brutalité, d’ivresse ou de spleen. Drive semble constamment anticiper les émotions du spectateur, à l’image de son héros, toujours un temps en avance sur le monde qui l’entoure. Cela s’appelle la maîtrise pure, et elle conduit parfois à la beauté absolue. C’est un homme qui meurt sur une plage nocturne dans un ciel zébré d’éclairs, la bande-son inondée par le bruit des vagues.

Et si Winding Refn se révélait, avec ce film ouvertement pop et divertissant, un grand artiste romantique ?

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Lundi 11 octobre 2021 Une querelle entre nobliaux moyenâgeux se transforme en duel judiciaire à mort quand l’un des deux viole l’épouse de l’autre. Retour aux sources pour Ridley Scott avec ce récit où la vérité comme les femmes sont soumises au désir, à l’obstination et...
Mercredi 7 juillet 2021 Espéré depuis un an, le nouveau Carax tient davantage de la captation d’un projet scénique que de ses habituelles transes cinématographiques. Vraisemblablement nourrie de son histoire intime, cette mise en abyme du vampirisme trouble entre artistes,...
Mardi 22 mai 2018 Pendant un quart de siècle, Terry Gilliam a quasiment fait don de sa vie au Don de Cervantès. Un dévouement aveugle, à la mesure des obsessions du personnage et aussi vaste que son monde intérieur. Mais l’histoire du film n’est-elle pas plus grande...
Mardi 24 octobre 2017 Au début des années 90, Ride fut le visage radieux d'une scène musicale britannique qui n'en voulait pas : les shoegazers. Une poignée de groupes à la fois mélodiques et bruitistes, mélancoliques et furieux, vaporeux et frondeurs, préférant regarder...
Mardi 3 octobre 2017 C'est dans un bain de sonorités 80's que Taylor Kirk et Timber Timbre reviennent nous hanter avec leur perpétuel mais versatile vague à l'âme. Pour un résultat aussi noir que fascinant.
Mardi 24 janvier 2017 À Los Angeles, cité de tous les possibles et des destins brisés, l’histoire en cinq saisons de Mia, aspirante actrice, et Seb ambitionnant d’ouvrir son club de jazz. Un pas de deux acidulé vers la gloire ou l’amour réglé à l’ancienne par l’auteur du...
Mardi 20 décembre 2016 Une semaine ordinaire dans la vie de Paterson, chauffeur de bus à Paterson, New Jersey et poète à ses heures. Après la voie du samouraï, Jarmusch nous indique celle d’un contemplatif alter ego, transcendant le quotidien sur son carnet. Une échappée...
Mardi 6 septembre 2016 En difficulté, le FestBouc se cherche une nouvelle voie pour exister au milieu des massifs festivals estivaux. Déjà, en changeant de date pour s'installer (...)
Mardi 7 juin 2016 Retour en grâce pour NRW — c’est ainsi qu’il sigle son nom au générique — avec un conte initiatique : celui d’une gamine partant à la conquête du monde de la mode. Le récit d’une ambition dévorante et dévorée, à la superbe… superbe.
Mardi 6 octobre 2015 Lorsque que vous aurez découvert le hobby de Nicolas Winding Refn, vous ne serez plus étonné par la musique qu’il choisit pour habiller ses œuvres — ni par (...)
Mardi 21 juillet 2015 Après Frances Ha, Noah Baumbach continue d’explorer le New York branché et sa bohème artistique, transformant "Solness le constructeur" d’Ibsen en fable grinçante et néanmoins morale où des bobos quadras se prennent de passion pour un couple de...
Jeudi 18 juin 2015 Immense cinéphile et cinéaste majeur, Martin Scorsese avait depuis le début le profil d’un prix Lumière parfait. Son sacre aura lieu au cours de l’édition 2015 du festival Lumière, dont la programmation, même incomplète, est déjà...
Mardi 23 juin 2015 Les Summer Sessions du Transbordeur reprennent et avec elles la programmation de cinéma en plein air proposée par ZoneBis, vaillante organisatrice de (...)

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X