Les Aventures de Tintin : le secret de la Licorne

À l’instar de James Cameron avec Avatar, Steven Spielberg s’empare d’une innovation technologique au potentiel énorme, et la plie à son imagination toujours fertile pour mieux la sublimer, au gré d’une véritable leçon de mise en scène. François Cau

Avatar, Drive et Tintin partent tous à leur singulière façon d’un même postulat qu’il est toujours bon de rappeler : si le récit a son importance, la manière de le mettre en images a tout autant de sens. Qu’on ait affaire à Pocahontas au pays des Schtroumpfs extraterrestres géants, à une série B qui aurait pu être interprétée par Jason Statham ou ici, à une trame antédiluvienne de feuilleton à rebondissements à peu près connue de tous, portée par un héros parmi les plus univoques qui soit, l’enjeu est de créer une mise en scène inédite, qui s’appuie sur des canons narratifs ultra-balisés et leur appréhension désormais presque instinctive par le public. Dans le cas de Tintin, quelques embûches théoriques liées au processus d’adaptation s’ajoutent au projet : le charme des aventures de l’intrépide reporter est totalement désuet, tant dans le fond que dans la forme. Il convenait donc de lui substituer un tout autre langage que la fameuse «ligne claire» d’Hergé, tout en opérant un hommage aussi déférent que possible. Passé un générique introductif lisse mais déjà porteur des intentions esthétiques qui animeront le film, Spielberg règle ces questions en trente secondes : au beau milieu d’un marché saisi en quelques images discrètement virtuoses, un caricaturiste empruntant les traits d’Hergé croque le portrait du héros, que nous ne discernons pas encore. Il finit par lui tendre une reproduction fidèle du Tintin de la bande dessinée, en lui disant «voilà comment je vous vois». Le plan suit le trajet du dessin d’une main à l’autre, pour dévoiler le Tintin de Spielberg, animé par le procédé de la performance capture – le passage de relais entre les deux visions du même personnage s’opère ainsi avec évidence, et laisse le champ libre à sa nouvelle incarnation.

La caméra dominée

Il ne faut ensuite qu’une succession de plans magnifiques pour s’habituer au parti pris – la 3D, comme dans Avatar, joue essentiellement sur les perspectives et l’immersion dans l’action, notamment via les vues subjectives qui ponctuent les péripéties. Pour ce qui est de la performance capture, soit l’intégration du jeu des comédiens à l’animation par modélisation numérique, Spielberg démontre que les recherches menées par Robert Zemeckis (avec le Pôle Express, Beowulf et Le Drôle de Noël de Scrooge) n’étaient pas le fait d’un illuminé doté d’un nouveau joujou, mais bien une étape cruciale pour donner forme à de nouvelles mises en scène. Avec un degré de “réalisme“ jusqu’alors inédit, qui imprime la rétine avec une force sans cesse renouvelée, Les Aventures de Tintin s’approprie les possibilités offertes par cette animation spécifique : s’affranchir des contraintes d’un tournage live pour laisser libre cours à ses fantasmes de mise en scène. Steven Spielberg s’autorise ainsi des plans impossibles, où les mouvements de cadre captent les moindres nuances de lumière ou des jeux de reflet sidérants. Le cinéaste joue en permanence sur les raccords, les focales, les angles, les séquences accumulent les niveaux de plans dans des proportions rarement atteintes ; tant et si bien qu’il faudrait au minimum trois visions au plus technicien des cinéphiles pour saisir la majorité des idées de cinéma contenues dans le film. Cette frénésie créatrice déteint fatalement sur le rythme, trépidant, quitte à laisser le spectateur complètement épuisé à l’entame du dernier acte, juste après un plan-séquence hallucinant de plus de cinq minutes – incontestablement l’un des plus incroyables morceaux de bravoure cinématographiques vus cette année sur un écran.

La révolution n’est qu’un début

Cette capacité de réinvention n’est pas sans rappeler les génies visionnaires de Tsui Hark et Peter Jackson (qui occupe ici le poste de producteur) dans leurs meilleures œuvres, à une notable différence près. Les Aventures de Tintin, en dépit d’un script solide mixant astucieusement deux albums d’Hergé, est un objet de sidération plus que de ravissement. Son époustouflante mise en scène ne parvient pas réellement à créer de l’émotion sur ces nouvelles bases, comme peuvent en témoigner les passages avec les Dupond et Dupont – même si l’on n’a jamais vu telle scène filmée de cette façon, une chute dans les escaliers garde la même aura comique datée… Haddock est le seul personnage à bénéficier d’un semblant d’évolution, et Tintin est plus que jamais cette surface plane, moralisatrice et sans aspérité. Ceci étant précisé, il faut reconnaître au film ce souffle épique qui faisait tellement défaut au dernier volet des aventures d’Indiana Jones, et l’incroyable plaisir de spectateur ressenti d’un bout à l’autre de la projection. Pour être totalement honnête, on va même y retourner dès que possible.


Cinéma : Les Aventures de Tintin, Human...

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