Sens interdits, jour 6 : Ceci est (aussi) du théâtre

Théâtre / Ceci est mon père (Pays-Bas). Nadja Pobel

Ça commence comme un spectacle potache entre un père et son fils façon stand-up familial. La biographie du père est distribuée aux spectateurs. À nous d’interroger ce sexagénaire soixante-huitard sur sa vie et ses différences avec son rejeton. La salle, restée dans la lumière, joue volontiers le jeu mais au bout d’une vingtaine de minutes, le procédé tourne un peu en rond. Pourtant, dès l’entame de sa performance, le père d’Ilay den Boer précise que le fils est juif contrairement à lui : «on est juif par la mère car le père peut être n’importe qui, un ami, un voisin, Dominique Strauss-Kahn». Quand la blague a assez duré, Ilay den Boer retourne son récit car sa judéité est la raison d’être de Ceci est mon père. Footballeur professionnel prometteur, ce fan du Feyenoord a été raillé dans les vestiaires par ses camarades qui remarquent sa circoncision. Une série de violentes agressions vont suivre le menant à totalement changer de vie (abandonner le foot pour le théâtre et s’investir pleinement, trop selon son père, dans la lutte contre l’antisémitisme). 

Do you speak jewish ?

En anglais et sans sur-titres (pour laisser place à l’improvisation), cette pièce prend tout son sens dans notre langue - le père traduit pour nous chaque phrase. Mais lorsque les paroles du gamin sont trop difficiles à accepter, le pater a tendance à faire l’impasse. Et s’entend crier dessus «translate !». La langue n’est qu’un calque – mais un calque puissant – de la reconnaissance de la violence. La dire ou la taire. La murmurer ou la hurler. Le fils souffre dans sa chaire (il est frappé à plusieurs reprises par ses agresseurs), le père a du mal à l’entendre et se calfeutre alors qu’Ilay vit «sa guerre personnelle» pour reprendre le titre du spectacle russe encore visible ce soir au Point du Jour. Sans tank ni char d’assaut, sans subir la censure d’un pays géré par un dictateur, Den Boer attire notre attention sur un pays voisin, la Hollande. La montée de l’extrême-droite n’est pas une nouveauté mais une réalité effrayante dont il a été une des victimes. Dans un moment d’intensité saisissante, il déballe toutes les reliques de ce cauchemar (un drapeau juif déchiré, des PLV de supporteurs de foot haineux…) dont des dizaines et des dizaines de pages de la presse néerlandaise consacré aux faits divers commis par des racistes donnant une réalité comptable de ce que le père considère comme simplement des imbécillités. Alors que la troupe des Cambodgiens présentaient en première mondiale sur le plateau des Célestins (à voir jusqu’à vendredi) la fin du règne du prince Sihanouk et le coup d’Etat de Lon Nol, les père et fils Den Boer rappellent (aux Subsistances jusqu’à vendredi) que la guerre est à nos portes, plus insidieuse que celle de Tchétchénie vue hier, mais qui porte les mêmes germes de terreur. Dans un style encore très différent de tout ce que nous avions vu précédemment, le théâtre tient bon la barre dans ce festival et se renouvelle en permanence. Il peut même déboucher sur du foot. Le père et le fils s’affronteront vendredi à 16h30 dans un match pour lequel ils n’attendent plus que vous à leurs côtés sur le terrain du stade Gilbert Vignes (Lyon 9e).

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