«Je ne pouvais pas me défausser»

Entretien – Mathieu Kassovitz, acteur, scénariste et réalisateur de L’Ordre et la morale.

Quelle a été la prise de risque pour réaliser un film comme L’Ordre et la morale ?
Mathieu Kassovitz : Il y en a eu deux : d’abord, faire des voyages pour parler avec les gens, essayer d’obtenir leur accord, partir avec une équipe pour étudier comment on va faire le film, et revenir en disant qu’il n’y a pas de film, ça, c’est une prise de risque financière. On se retrouve avec beaucoup d’argent dehors et même pas le début d’une préparation. J’ai tenu pendant six ans avant de refiler le tout à mes producteurs, quand j’ai fermé ma boîte. L’autre prise de risque, la seule que je vois, c’est de ne pas rendre justice aux victimes de cette affaire, les Kanaks, de ne pas les rendre humains. Il fallait les sortir de la qualification de terroristes qu’on leur colle depuis trente ans.

Au cœur du film se pose la question de l’intégrité, pour le personnage et pour vous cinéaste, afin d’être le plus juste face aux événements…
En fait, Philippe ne s’est pas désengagé de ses responsabilités ; il est allé au bout. Quand on survole l’histoire, on peut trouver ça terrible : il a trahi, renié ses propres convictions, participé à la mort d’hommes. Je regarde ça en tant que civil comme une tragédie énorme et j’imagine un personnage qui a subi cette tragédie avec beaucoup de conflits et de souffrance. Mais quand je le rencontre, j’ai affaire à un professionnel. Pour être capitaine du GIGN, il ne faut pas se laisser submerger par ses émotions. À Ouvéa, il a tout essayé, il a pris ses responsabilités. Ce dont je me suis rendu compte, et c’est pour ça que j’ai décidé de jouer son rôle, c’est qu’il fallait que j’endosse aussi mes responsabilités, je ne pouvais pas me défausser. Au final, il y a un film que je peux défendre face à vous parce que j’en suis le responsable de A à Z, comme Philippe Legorjus peut vous expliquer la totalité de sa démarche pendant les événements.

Pour vous cinéaste, ça devait être intéressant de faire un film qui marrie le thriller politique et le film de guerre…
Vous lisez cette histoire et vous avez un scénario devant les yeux. La chance que j’ai eu, c’est de croiser quelqu’un qui connaissait les Kanaks et qui m’a permis d’aller les voir. Pour moi, c’est une histoire parfaite : c’est shakespearien, c’est une tragédie grecque, c’est philosophique, c’est guerrier. L’intérêt, c’est de respecter au maximum cette réalité qui est un scénario.

Dans le film, il y a des variations de tempo : on passe de choses presque contemplatives à une montée finale trépidante…
C’est mon travail de metteur en scène. C’est la même chose pour n’importe quelle œuvre de fiction. Mais une fois encore, la réalité était là ; la fin, on la connaît. Maintenant, est-ce qu’on commence le film en disant quelle est la fin et comment on le fait graphiquement, c’est autre chose. Mon seul problème, c’était de réunir ces dix jours en deux heures ; qu’on comprenne la complexité de la culture Kanak, de la politique en France, les problèmes avec les militaires… Le travail, c’est juste un travail de journaliste.

Vous avez l’air de minimiser votre apport de metteur en scène dans le film alors qu’il est spectaculaire ; le plan-séquence de l’assaut, on ne voit pas ça tout le temps sur un écran…
Si je suis honnête avec vous, ce résultat, c’est la suite d’une série d’accidents qui auraient pu être désastreux. Quelques jours avant le début du tournage, mes producteurs m’ont dit qu’il y avait dix jours de tournage en trop dans le budget. J’avais deux semaines pour faire l’assaut, et j’ai dit qu’on le tournerait en trois jours. Mais quand se profile le moment de tourner la scène, je me rends compte que j’ai quand même besoin de deux semaines, ce qui était financièrement impossible. Donc on se réunit avec l’équipe et on trouve une idée. C’est ce qui est génial. Tu n’as jamais assez de pognon quand tu fais un film, donc il faut trouver des solutions qui, si elles marchent, sont beaucoup plus fortes. Si j’avais eu deux semaines pour tourner l’assaut, qu’est-ce que j’aurais fait ? Laisser mon personnage pour aller voir ce qui se passe dans la grotte ? Filmer des mecs en train de se faire tirer dessus ? Quitter mon point de vue et passer à un truc que même moi j’ai du mal à comprendre ? Je ne voulais pas, mais la logique aurait voulu que je le fasse. C’est ce que le public attend, c’est ce que les Kanaks attendent, car ils veulent qu’on montre comment ils se sont fait tirer dessus. Les contraintes financières obligent à aller au cœur, à l’essence de ce que l’on raconte.

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