Contemporain et ami de Maïakovski dont il partage un humour ravageur et désespéré, inspiré des déliquescences de l'idéal révolutionnaire, Nicolaï Erdman a connu avec ses deux pièces des démêlés avec la censure qui se sont étalés sur plusieurs décennies, ce qui explique en partie leur inaccessibilité jusqu'à aujourd'hui. Le Suicidé (1928), fort de sa récente traduction par le spécialiste de la littérature russe André Markowicz, se révèle être une œuvre à la trame satirique particulièrement audacieuse. Semione, chômeur volontaire (et donc rebut social), voit l'un de ses gestes mal interprété comme une tentative de suicide. Une ronde sans fin de beaux parleurs va tenter de lui faire reprendre goût à la vie, avant que son futur geste ne se fasse récupérer par des notables et politiciens opportunistes, qui pensent que c'est toujours mieux de se foutre en l'air pour la “bonne cause“... Ce bal des hypocrites et des écorchés vifs exige un rythme effréné, quasi épuisant, que les partis pris de Patrick Pineau n'arrivent pas toujours à honorer, notamment lors des transitions musicales (qu'on aurait par ailleurs allègrement remplacées par l'orchestre tsigane prévu dans le texte) ; une impression encore renforcée par les aléas d'une distribution inégale, où surnagent la splendide Anne Alvaro et le bouillonnant Pineau dans le rôle-titre. Mais on peut gager que depuis Avignon, où l'on a découvert la pièce, la machine a dû se roder.
François Cau
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