Fort d'un premier album chaudard baptisé "Sunny Side Up", Slow Joe & the Ginger Accident, mariage d'un lapin lyonnais et d'une carpe indienne, vient démontrer sur la scène du festival Plug & Play que derrière la belle histoire, il y a des talents dont il aurait été ballot que le destin ne les réunisse pas. Présentation de l'artiste, du festival et interview d'un autre de ses invités.Textes et entretien : Stéphane Duchêne
Il y a quelques années nous avions rencontré, à l'occasion d'un dossier du Petit Bulletin consacrée aux lauréats du regretté tremplin Dandelyon (parmi lesquels on trouvait également Coming Soon) un certain Cédric de la Chapelle. Cédric était alors le leader enflammé et roux de S., un groupe de rock français particulièrement hardcore et assez génial qui, s'il avait percé, aurait probablement rendu fou plus d'un référenceur Google. Plus calme à la ville, Cédric, qui nous avait reçu chez lui à la coule du côté de la place Sathonay, était alors prof de maths et, entre deux roulages de clopes et deux bières, ne semblait pas imaginer une seconde être un jour happé par le succès, cette Money Mama («Money talks, bullshit walks») chantée par Slow Joe & the Ginger Accident, le groupe dont il est aujourd'hui l'instigateur.
Dartford indien
Car entre temps, on connaît l'histoire, Cédric de la Chapelle est allé traîner son short de bain en 2007 sur une plage de Goa et comme dans un récit du Perceval de Kaamelott, y a croisé un vieux. Dans Kaamelott, c'est là que les choses auraient pris fin (le vieux serait mort ou quelque chose comme ça). Pour Cédric le Lyonnais, elles n'ont fait que commencer, pour lui comme pour le vieux : un certain Joseph Rocha passablement ratatiné par la vie et la dope, rabatteur pour des restaurants mais chantant comme un oiseau au pays des crooners. Les deux hommes, le vieux et le roux, tombent alors en amour musical. Cédric rentre en France mettre de la musique sur les maquettes qu'il a enregistrées de son pinson indien. Sans forcément imaginer la suite, qui se produit pourtant. Une tournée se met en branle et le buzz est parti. Ainsi naît Slow Joe & the Ginger Accident («Ginger» comme «rouquin» et «accident» pour rendre hommage au hasard). Avec une histoire pareille, difficile de ne pas faire baver les médias : Cédric et Joe Rocha, c'est digne de Keith croisant Mick sur le quai de la gare de Dartford un jour de 1960. D'ailleurs, Joseph Rocha est un peu un genre de Keith Richards indien sans la guitare. On l'imagine tout à fait jouer les boucaniers chancelants dans Pirates des Caraïbes et il semble qu'il y ait match quant à la quantité de drogues consommée en une vie par ces deux vieilles ganaches. Avec un tel chanteur, quasi septuagénaire, également croisement improbable de Sammy Davis Jr. (regard multidirectionnel) et d'acteur de comédie italienne des années 70 (vieille classe un peu froissée, faux lent de conviction) difficile de ne pas se faire remarquer dans une époque alors dominée par les baby-rockers (dont on est sans nouvelle). Qui plus est, l'homme ne risque pas de nous faire son premier bouton en concert.
Sunny Side Up
Restait à passer aux choses sérieuses et à dépasser le stade du hochet pour journalistes en mal d'anecdotes, à asseoir ce projet musical sur quelque chose de solide ; à savoir un album. Pour cela, pas d'autre choix que de faire venir Joe Rocha en France et d'enregistrer un disque digne de ce nom et des promesses entrevues. Musicalement, le résultat est tout simplement bluffant. Avec Sunny side up, qui frappe d'entrée d'un coup de Money mama soul punk à souhait, gorgé d'orgues jusqu'à la garde, on n'est plus dans la maquette enregistrée à distance avec l'euphorie du gagnant à l'Euromillion de la vie. L'album, qui garde tout du long le souci d'un vintage pour autant jamais faisandé, est d'une richesse remarquable : oscillant entre crooning à la Elvis, rien de moins, sur Give me your love, et acidité tongue-in-cheeks à la Kinks-Seeds sur le fantastique Brunette blonde que les amateurs de Nuggets (les compilations, pas les beignets de poulets) devraient adorer. La voix exceptionnelle ou, devrait-on dire, le charisme vocal, de Joe Rocha – qui par moment n'est pas sans rappeler la nonchalance âcre et miaulante du grand Mark E. Smith de The Fall ! se balade en plein soleil comme un cabri lubrique et sautillant, serpente dans les rythmiques caoutchouteuses comme dans le jardin d'Eden d'un Paradis retrouvé, celui de sa jeunesse passée à imiter ses idoles. Qu'on le paie pour le faire à l'âge où tout le monde rêverait de couler des jours de retraite paisible à Goa n'est que justice. Comme n'est que justice la tournée effectuée en cette fin d'année dernière en Inde, histoire de voir si oui ou non on peut être prophète en son pays. Une chose est sûre, Joe Rocha, Lyonnais d'adoption que l'on peut voir régulièrement traîner ses guêtres place Sathonay, l'est dans son nouveau chez lui, prophète. Quant au fait que son mentor et bienfaiteur – qui confirme ici des talents de compositeur monstrueux et une culture musicale abyssale – se nomme «de la Chapelle», à chacun d'y voir le signe qu'il veut bien y voir : du destin ou d'une quelconque volonté divine à même de le façonner.
Slow Joe & the Ginger Accident, au festival Plug & Play dimanche15 janvier
"Sunny Side Up" (Believe)
Slow Joe - When Are You Comin Home (Clip... par Believe