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J. Edgar

Clint Eastwood revient à son meilleur avec cette bio de J. Edgar Hoover, dont la complexité et la subtilité sont à la hauteur de cette figure controversée de l’histoire américaine. Christophe Chabert

Qui était J. Edgar Hoover, puissant patron du FBI pendant plus de quarante ans ? Un réactionnaire obsédé par un potentiel complot bolchevique ? Un homosexuel honteux incapable de s’affranchir d’une mère castratrice ? Un junkie cherchant à repousser le moment tragique où il n’aura plus la puissance physique de résister à ceux qui réclament son départ ? Un mythomane qui ne cesse de réécrire son histoire, s’inventant un destin héroïque et romanesque ? Il était tout cela, mais ce tout est aussi un grand vide, et l’énigme Hoover demeure entière. Clint Eastwood, fidèle à sa dialectique qui lui permet de critiquer les mythes fondateurs de l’Amérique sans pour autant en dénoncer les valeurs, fait du portrait de Hoover un labyrinthe temporel où chaque séquence viendrait brouiller la précédente, où le personnage ne serait jamais saisi dans une alternance de blanc et de noir, mais dans de constantes zones de gris. De fait, si le cinéaste déconstruit Hoover, il refuse toute explication psychologique. Et pour cause : le film ne cesse de dire qu’Hoover n’existe pas, qu’il est une invention, un être dont la vie n’a été qu’une affaire d’adaptation, d’opportunisme et de survie.

La grande illusion

Comment filmer la vérité d’un homme qui croit tellement dans ses mensonges qu’il les érige en dogmes pour toute une nation ? Proche en cela de Mémoires de nos pères, J. Edgar montre que l’histoire de Hoover repose sur un processus organisé de falsification. Le fil rouge montre le personnage à son crépuscule dictant ses mémoires, établissant dès le départ la frontière qui sépare un héros d’un méchant. Manichéisme qui ne tient pas : même l’épisode inaugural de ses exploits est soumis à controverse. Plus tard, interrogé par un sénateur qui lui reproche de s’être attribué un certain nombre de faits d’armes sur le terrain, il baisse la garde et avoue sa tromperie ; dès les scènes suivantes, le voilà qui s’emploie à devenir le cowboy qu’il n’a jamais été. Eastwood appuie l’idée en montrant Hoover spectateur des films relatant ses exploits fictifs. Plus subtil encore, en laissant Di Caprio (époustouflant, au passage) être à la fois trop vieux et trop jeune pour le rôle selon les époques, il montre un Hoover en représentation permanente, acteur et auteur de sa légende passant du coup à côté de sa vie. Sa vérité est du côté de la chair : celle de deux amants qui n’arrivent à s’étreindre qu’en se battant ou d’un vieillard nu, blafard, recroquevillé comme un enfant. Images bouleversantes qui ne mentent pas sur l’ambition intacte de Eastwood.

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