L'âge du vintage

De salons en marchés, de boutiques en soirées, le vintage se porte bien. Phénomène fashion, effet de nostalgie ou attitude politique, le mouvement prend sa source dans le courant pop qui animait Lyon au tournant du siècle. Retour en arrière avec ces amoureux qui font vivre le vintage au présent. Texte : Christophe Chabert

La scène se passe au Marché de gros en juin dernier. Quelques semaines après Nuits Sonores, et quelques jours avant que ledit marché ne soit rasé par bulldozers et pelleteuses, le Salon de la mode vintage s’offrait une dernière édition dans ce lieu où il avait pris, des années avant, son envol. Au milieu des fringues, des objets rétro et des collections de créateurs, une bande-son indie-pop inondait les enceintes et le tout faisait sens : une esthétique commune où culture et fashion réveilleraient l’instinct nostalgique des trentenaires et la fascination de leurs aînés. Rien d’étonnant : depuis une bonne dizaine d’années, la musique vit au rythme des revivals, tandis que la mode cherche dans le passé de quoi contrer la mondialisation vestimentaire des grandes enseignes — qui n’hésitent pas à surfer sur la vague en proposant de l’imitation vintage !

Nostalgie de la nostalgie

L’affaire prend sa source quelque part entre la rue Sergent Blandan et la rue Constantine au tournant des années 2000 avec une poignée d’étudiants qui rêvent de traverser la Manche pour aller chiner au Camden market et acheter des 45 tours chez Rough Trade ; en attendant, ils passent leurs soirées au Voxx et leurs nuits au Sergent Pop. Mais les proprios décident de passer la main et, plutôt que de chercher un autre lieu, ils décident de fonder une association et de reprendre ce petit club bizarre en sous-sol et de le rebaptiser ; du Plastic people sortira une décennie de pop made in Lyon. Des labels (Les Disques puzzle hier, Écho Orange aujourd’hui), des groupes et des songwriters (Scalde, Selar, A Song, Les Putrellas forever), un tremplin musical (Dandelyon), des Dj’s… L’une d’entre eux, Saperlipopette, alors présidente de l’association, se souvient de ces glorieuses années : «On a vu venir au Plastic People des gens comme Neil Hannon de Divine Comedy, Gus Gus ou Jay Jay Johanson après leurs concerts. Bertrand Burgalat, le fondateur du label Tricatel, y a joué en 1999. On avait aussi fait une soirée à Londres, c’était un échange avec un autre club qui a ensuite fait une soirée au Plastic.» Cette culture-là est aussi une culture vestimentaire : la fripe, qu’on n’appelle pas encore "vintage" puisqu’elle l’est de facto, ils la trouvent directement chez Emmaüs, dans les vides greniers ou au mythique Kiloshop à l’angle de la rue Lanterne, où les fringues sont achetés au kilo et ont la valeur de l’authentique — pas chers, donc… Manu, gérant de Kiloshop à partir de 1993, qui tient aujourd’hui avec son associé Stéphane Twig 7, boutique de design rétro située montée de la grande côte, venait lui aussi de la musique, puisqu’il fut un des Dj’s résident du mythique Globe. L’horizon fantasmé de cette jeunesse, c’est les années 60. Avec une pincée de nostalgie pour cette nostalgie-là, Saperlipopette commente : «Tout était à inventer, l’adolescence commençait, il y avait la liberté de créer, c’était le moment où l’on branchait la première guitare électrique.»

Du kilo à la pièce unique

Courant 2000, le mouvement commence à s’effriter, l’enthousiasme cède la place aux réalités économiques et professionnelles : le Plastic people ferme en 2002 et "l’esprit" du lieu continue un temps hors ses murs (des soirées Plastic people au Sirius, des concerts au CCO et au Clacson…). Kiloshop baisse à son tour le rideau en 2006, juste au début de la "tendance" vintage. C’est la montée en puissance du Salon de la mode vintage, qui jusqu’alors ne regroupait qu’une poignée d’exposants dans une ambiance plutôt familiale et branchée. C’est aussi l’époque où le CD, grignoté par le numérique, perd en attrait pour le "vrai" mélomane pop. Le vinyle devient plus qu’un objet de collection ou un matériel pour Dj ; les foires aux disques se développent donc à leur tour. Ce genre de manifestations (comme le Pop Up market, dont les dernières éditions ont eu lieu à l’Élysée et à la Piscine du Rhône) permettent aux acteurs "historiques" de se retrouver, et encouragent des créateurs et des passionnés à lancer leurs propres boutiques. En 2010, Coraline, jusqu’alors éducatrice de rue, inaugure Coco Picos friperie rue d’Austerlitz à la Croix-Rousse, avec une philosophie affirmée : «Je chine, j’achète à des particuliers, mais je ne fais pas de dépôt-vente. Si ça ne part pas, c’est à mes frais. Je veux que ce soit une vraie friperie, c’est-à-dire un endroit où on fouille, que ça se renouvelle et qu’il y ait une certaine opulence, un vrai choix.» L’idée étant aussi de faire vivre la boutique en faisant de l’événementiel, des concours de look, des défilés et même une boum au Sonic — Coraline a passé vingt ans dans le milieu punk-rock ; tout se recoupe.

Politique du vintage

Pour Emma de Chez les morues rue romarin (la véritable artère lyonnaise de cette nouvelle vague vintage avec des enseignes comme Jimi Vintage — le grand ancien — ou Carrie Bradshop — le créateur du lot —, tous complémentaires au sein d’un même «réseau»), la démarche est aussi politique. «Depuis mon enfance dans les Vosges avec mes parents, j’ai toujours été dans la récupération, dans le système D, j’ai baigné là-dedans. Ce qu’on fait en matière de fripe n’est pas une affaire d’esthétique ou de mode, c’est une vraie démarche : dire aux gens d’oser autre chose qu’H&M et Zara, ne pas tomber dans la surconsommation…» Et elle désigne les tables du café Kissaten qui se trouve à l’intérieur de la boutique : «C’est du formica : ça ne se recycle pas, c’est impossible, mais c’est hyper solide, il faut bien en faire quelque chose.» Elle insiste par ailleurs sur un point : «Le réseau est important, mais c’est un réseau joyeux, on ne se prend pas au sérieux. Je vends de la sape, je ne sauve pas des vies.» Reste à savoir ce qui relève de l’effet de mode, et ce qui tient du goût pur et simple. Manu de Twig 7 résume la chose à propos du design et de la déco vintage : «On ne peut pas vraiment parler d’effet de mode. Par exemple, nous sommes spécialisés dans le design français des années 50, mais c’est ce qu’il y a de plus dur à trouver, donc ce qu’il y a de plus cher. Ce genre de choses à un prix. C’est le problème en France : on essaie de tout démocratiser, mais on ne fait que vulgariser.» Martine Solignac, qui organise le Salon vintage à l’Hippodrome de Bron-Parilly les 4 et 5 février, principalement axé sur l’objet déco et le mobilier design, voit dans ce mouvement une remontée des souvenirs d’enfance : «Je viens du monde de la brocante traditionnelle et j’ai découvert une autre forme de brocante, celle des objets liés aux années 50, 60 et 70. Pour ma génération, c’était l’ordinaire ; pour la génération suivante, ce sont les objets de leur grand-mère.» En attendant que nos iPhone et nos iPods deviennent des pièces de musée, il est donc de bon ton d’aller tourner le cadran d’un téléphone à fil en écoutant craquer un 45 tours des Smiths.

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