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Des hallucinations de haute volée

Avec une deuxième édition particulièrement réussie, le festival Hallucinations collectives a trouvé son bon format, rencontré un large succès et proposé une sélection d’une grande tenue, que le jury a justement souligné en décernant un grand prix mérité au génial Kill list. Christophe Chabert

Depuis la naissance de L’Étrange festival, et sa transformation en Hallucinations collectives l’an dernier, ce festival nous tient à cœur et c’est avec une certaine joie que l’on peut affirmer que l’édition 2012 restera comme un excellent cru. Et, cela ne gâte rien, le public a répondu présent, malgré la pléthore de propositions culturelles (ou pas, genre l’ouverture du centre commercial Confluence) et le début des vacances de Pâques. De là à dire que celui-ci se lasse du formatage cinématographique actuel et démontre qu’il est prêt à se lancer dans des expériences extrêmes, il y a un pas que l’on ne franchira pas ; mais qu’il puisse répondre présent une fois par an pour découvrir des films hors norme, et parfois franchement déroutants, est un pied de nez salutaire au marketing envahissant et à la longue gonflant qui tente de nous faire croire à la nouveauté là où, de toute évidence, il n’y a que de la redite.

La compétition, grande innovation du festival depuis l’édition précédente, a ainsi démontré une vigueur galvanisante. Galvanisant, c’est d’ailleurs le mot qui vient à l’esprit pour qualifier The Raid de Gareth Evans, présenté en ouverture et qui a sans doute contribué à créer la belle dynamique qui a perduré jusqu’au bout d’Hallucinations collectives. Le film est en effet un retour aux fondamentaux du cinéma d’action, allant piocher dans les films d’exploitation des années 70 aussi bien que dans les blockbusters les plus prestigieux des années 80 (Piège de cristal, par exemple) ou le cinéma hong-kongais des années 90 la substantifique moelle de ce que tirer, mutiler et frapper veut dire, cinématographiquement parlant.

The Raid réussit l’exploit d’être à la fois fun et sérieux, le déferlement de violence à l’écran (d’abord des flingues, puis des armes blanches et finalement des pieds et des poings) produisant un effet de plaisir absolu, sans jamais tomber dans l’ironie, le pastiche ou le clin d’œil façon Europacorp. Chaque séquence est à la fois l’occasion d’explorer un pan du décor, de mettre en lumière un enjeu du récit et d’offrir au spectateur un morceau de bravoure, privilégiant la durée des plans et l’occupation de l’espace plutôt que le surdécoupage illisible.

Des twists en trop...

Tout n’était pas forcément du même niveau dans cette compétition, et il y eut même quelques déceptions : ainsi de Babycall de Pal Slethaune, énième manipulation scénaristique qui maquille en film de genre un drame psychologique non seulement plutôt chiant à suivre dans ses fausses pistes et ses rebondissements, mais où le réalisateur finit par biffer l’ensemble d’un "tout ça, en fait, c’est dans la tête", procédé usé jusqu’à la corde et qui, en plus, s’avère ici particulièrement laborieux.

On mesure à quel point la pratique du twist final peut nuire au cinéma contemporain en voyant The Incident, le premier long d’Alexandre Courtès, qui sans ce renversement idiot aurait été un parfait modèle de série B horrifique à l’ancienne. Visiblement influencé par les premiers Carpenter (Assaut et Fog, notamment), Courtès invente un survival intemporel (pas de téléphones portables, pas d’ordinateurs, aucune technologie contemporaine) qui, un peu à la manière d’un Hazanavicius, chercherait à retrouver l’esprit du genre par la reproduction fétichiste de ses figures.

Les héros sont de jeunes rockers moustachus et chevelus, les «méchants» des dingos anonymes et souvent interchangeables prenant le contrôle d’un asile coupé du monde (plus d’électricité, plus de lumière). La mise en scène de Courtès vise d’abord à faire monter progressivement la tension et l’angoisse avant de se lancer dans une série de scènes ultra-violentes, dont le sadisme rappelle que, même s’il est tourné en Anglais et coproduit par la Belgique, The Incident appartient bel et bien à la french touch du cinéma d’horreur.

Les fins du monde

C’est un peu le cas aussi de The Divide de Xavier Gens. Reconnaissons que le cinéaste a progressé depuis le navrant Frontière(s), et si The Divide peine à convaincre, il n’a rien de honteux. Par moments, la mise en scène arrive vraiment à faire sentir le désespoir de cette poignée de survivants cloîtrés dans une cave suite à une explosion atomique. Mais Gens veut aussi donner une leçon d’anti-humanité au spectateur, en soulignant à gros traits la régression vers la bestialité des individus. Il le fait par tous les moyens en sa possession : dégradation physique des acteurs (le casting, a priori improbable réunion de vieilles gloires oubliées genre Michael Biehn ou Rosanna Arquette et de comédiens ayant fait leurs armes dans le cinéma de genre, devient vite un atout pour le cinéaste), érosion de leurs limites morales mais aussi, et là le bât blesse, torrent de dialogues servant à la fois à faire durer le malaise et à transmettre la noirceur qui finit par atteindre l’ensemble des personnages.

On ne sait trop dès lors ce qui relève d’un pessimisme sincère ou d’un jusqu’auboutisme qui, ici encore, trahit les origines françaises de son réalisateur. Confondant parfois fin du monde et effondrement global de tous les repères (c’est souvent hasardeux, comme la pulsion homosexuelle qui saisit un des personnages, dernier stade de la déchéance plutôt qu’impossible demande d’amour !), Gens laisse de côté des pistes intéressantes (les humains transformés en cobayes à l’extérieur de la cave, le gardien de l’immeuble traumatisé par la mort de sa femme le 11 septembre) et n’arrive pas vraiment à faire de son héroïne un rempart suffisant à la lâcheté généralisée de son microcosme.

En cela, Hell, premier film de Tim Fehlbaum, parti sur des bases similaires (après une catastrophe inexpliquée, le soleil est devenu une menace permanente, obligeant les survivants à vivre la nuit et à errer à la recherche d’un endroit encore habitable) arrive à un résultat autrement plus probant. Son économie de série B (c’est en fait le film de fin d’étude de son réalisateur) où c’est la lumière saturée qui constitue le principal effet spécial, l’oblige à se concentrer sur le comportement de ses personnages, leur lutte pour survivre étant avant tout une question d’action et de mouvement.

Grâce à une caméra tremblante parfaitement dosée, Hell ne quitte jamais ses protagonistes, et notamment Marie, jeune femme qui se découvre combattante au fil des périls qu’elle traverse. Même les ennemis qu’elle rencontre échappent à la caricature facile, adoptant face à leur disparition annoncée des stratégies cruelles mais compréhensibles. Fehlbaum a un vrai sens du rythme, il ne laisse aucun gras dans son récit, qui avance à cent à l’heure et réserve de nombreuses bifurcations inattendues. Une vraie révélation, dont on se demande pourquoi elle n’est pas appelée à sortir en salles.

La compression, c'est l'innovation

Enfin, terminons avec deux films absolument singuliers, qui n’ont à vrai dire rien de commun, sinon celui d’aller bouger les limites du cinéma de genre. Detention de Joseph Kahn, présenté en clôture d’Hallucinations collectives, est un concentré de pop culture complètement cinglé, un objet dont on ne sait trop s’il faut le théoriser à outrance ou le classer dans la catégorie des plaisirs coupables. Kahn ne se fixant aucune barrière, il fait rentrer dans chacun de ses plans toutes les références, tous les artifices narratifs, tous les modes de représentation au risque, avéré, d’épuiser les facultés du spectateur à les assimiler. Si Scream faisait le point sur la connaissance par le public des codes du slasher, si Sex academy tentait de réfléchir ceux du teen movie, Detention prend ces deux films, les imbrique et cherche à la fois à les dépasser et à en tirer des leçons sur l’évolution des trois dernières décennies.

C’est parfois brillant, comme lorsque, par la grâce d’un transfert de personnalité, on découvre que dans les années 90, le sommet du cool c’est d’être en avance sur son temps alors que dans les années 2000, le top de la branchitude, c’est le revival des modes d’hier ; ou encore quand le film dans le film dans le film dans le film dans le film démarre avec un série B téléchargée illégalement sur internet et se finit par un porno vintage à l’image crasseuse. Le voyage dans le temps prend des allures de commentaire sur l’époque, avec l’ironie un peu arrogante de celui qui a tout compris au film — c’est moins le cas du spectateur, et à côté de Detention, les délires de Gregg Araki font figure de sage classicisme !

 L’an dernier, le jury du festival avait couronné Balada triste au terme d’une délibération éclair — un choix logique. Cette année, il n’a pas fallu plus de temps à Nicolas Boukhrief et ses camarades pour décerner leur prix à Kill list de Ben Wheatley, et c’est tout aussi justifié, tant le film a brillé très au-dessus de cette compétition pourtant remarquable. C’est dire à quel point on a affaire ici à une œuvre à part, et sans doute à l’éclosion d’un cinéaste dont il faudra retenir le nom pour les années à venir. Kill list, si on devait le définir, c’est comme si Terrence Malick avait tourné un polar ésotérique ; l’ombre de Malick plane en effet sur la mise en scène de Wheatley, cette manière de désynchroniser l’image et le son, de traiter les scènes comme des fragments arrachés à des séquences qu’on imagine plus longues, où les acteurs semblent vivre les situations tout autant qu’il les joue, où l’observation du quotidien le plus trivial paraît héberger des arrières mondes métaphysiques — lumineux chez Malick, sombres chez Wheatley. C’est aussi une façon de privilégier une logique interne de rêve éveillé plutôt que le traditionnel schéma scénaristique où l’on finit toujours par expliquer le pourquoi du comment afin de rassurer le spectateur pressé de comprendre.

Rien de tout ça dans Kill list. On ne saura pas «ce qui s’est passé à Kiev», mais on se doute que cela a à voir avec les événements déroutants que traversent les deux protagonistes, ex-soldats devenus tueurs à gage. On n’en dira pas plus, du coup. Enfin si, car quelle que soit l’étrangeté des situations, celle-ci n’atteint jamais vraiment les personnages, aux prises avec des soucis très quotidiens : mal de dos, problème d’argent, querelle de couple, engueulade avec une bande de chrétiens peu discrets, vol de savon dans un hôtel de luxe… Plus que le fantastique, ce mélange d’humour très noir et de violence extrême fournit une authentique sensation d’absurde, ce que renforce la performance exceptionnelle des deux comédiens, qui apportent un réalisme et une crédibilité sans faille à leurs personnages en improvisant partiellement le dialogue. Kill list réussit ce tour de force d’être prenant tout en misant sans arrêt sur le flottement, l’attente et l’anecdote. Ce grand film sortira en juillet sur tous les écrans.

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