Tucson Songs, l'album, «parrainé» par les incontournables Calexico et Giant Sand (qui clôt la marche), commence par un titre assez extraordinaire qui a le mérite de mettre immédiatement l'auditeur dans l'ambiance, ne serait-ce que par son titre : The Rust, The Knife interprêté par Gabriel Sullivan, Taraf de Tucson et Brian Sedlmayr.
Une envolée à la croisée de Morricone, du Grand Chapparal et de Ghost Riders in the Sky version Johnny Cash. Chœurs épiques, guitares westerns inondées de cuivres mexicains, de violons pincés et de bruitages inquiétants, rejouent une cavalcade digne de nos plus grands souvenirs de western à l'ombre du talk-over conteur de Sedlmayr et de la voix très Tombstone – du nom d'un mythique lieu arizonien – de Gabriel Sulivan.
À partir de là, malgré la grande variété stylistique du disque qui témoigne des esthétiques propres à la scène de Tucson, entre mythologie et expérimentation, on ne lâchera plus l'album. D'autant qu'enchaîne immédiatement l'une des révélations de cet album : Brian Lopez, symbole de la relève tucsonienne que nous présente le disque paru sur un label allemand. Ce qui pourrait paraître étrange s'il s'agissait aussi du label d'une poignée de tucsoniens d'adoption : Marianne Dissard, Naïm Amor et Andrew Collberg, tous présents sur le disque.
Preuve de la singularité et de la pluralité du son de Tucson, on retrouve au long des 18 titres, des reprises : Calexico et Françoiz Breut (la suave normande n'ayant jamais autant semblé avoir grandi au pied d'un cactus) s'attaquant à Nina Simone le temps d'un sublime Keeper of the flame ; des chansons inédites ; des voix singulières (Gabriel Sullivan, donc) ; des pépites (le Dreaming d'Al Perry, légende de la scène garage locale convoquant les cuivres mexicains) ; des bizarreries génético-musicales (Taraf de Tucson mélange de musique de Balkans et de cumbia péruvienne) ; de la lo-fi western et fantomatique (Otherly Love) ; de la chanson d'amour au banjo (Marie Andrews, seule «étrangère» venue de Phoenix) ; d'autres duis transnationaux (Lopez et Dissard pour Neige Romaine).
Bref une véritable cartographie tucsonnienne aux accents de western dont, malheureusement, le Tucson Songs Tour ne ne nous offrira que quelques aperçus – trimballer tout ce beau monde sur scène aurait coûté quelques bras. Enrôlés pour l'occasion : Brian Lopez, qui risque fort de bouleverser ces dames, Marianne Dissard en représentante féminine ET française de la scène de Tucson, l'inclassable Andrew Collberg, songwriter méconnu mais plus pour très longtemps, et digne successeur du Joey Burns de Calexico, et le Sergio Mendoza Orkesta pour la touche «speed mambo mexicano» qui devrait rapidement transformer l'Epicerie Moderne en fiévreuse salle de bal.
Stéphane Duchêne
«Tucson Songs» (Le Pop Muzik)