Cannes jour 1 : Woody et les chevaux

Woody Allen : un documentaire. Après la bataille.

Le film d'ouverture de Cannes est-il un bon présage de la sélection à venir ? Si oui, alors Cannes 2012 devrait être exceptionnel, tant le Moonrise kingdom de Wes Anderson nous a littéralement enchanté. On en parle ailleurs, donc pas la peine de s'appesantir sur le sujet. Mais pour revenir à la question de l'ouverture comme signe annonciateur de la qualité globale, il faut se souvenir qu'en 2010, qualifiée par les festivaliers qui l'ont vécue d'annus horribilis, avait débuté avec le lamentable Robin des bois de Ridley Scott, et le reste avait été à l'avenant.  En revanche, le bon cru de 2011 avait été lancé par l'excellent Minuit à Paris de Woody Allen, qui restera par ailleurs comme un des meilleurs souvenirs de l'ex-première dame de France - on s'égare.

Or, avec une certaine malice, Thierry Frémaux a choisi de proposer aux festivaliers non pas le Woody Allen annuel (To Rome with love, privé de Cannes pour cause de sortie avancée en Italie), mais un documentaire consacré au cinéaste prolifique. En près de deux heures, on visite au pas de course une partie de la vie et de l'œuvre allenienne en compagnie de quelques compagnons de route, de critiques américains éminents et même d'un prêtre, ce qui est un peu 'What the fuck ?', disons-le. On n'y apprend pas grand chose, mais cette promenade dans la filmo du maître figure une agréable madeleine de Proust pour le cinéphile. Quelques séquences valent toutefois le détour : Woody expliquant face à son antique machine à écrire sa méthode à base de bouts de notes agrafées au scénario ; son envie de tourner vite, obligeant à adopter des formules toute faites face à des acteurs soucieux de trop bien faire histoire de passer rapidement à la prise suivante ; ou encore l'explication du furieux chaos sentimental lié à sa rupture avec Mia Farrow durant le tournage de Maris et femmes, renforçant le trouble nœud autobiographique autour du film.

Le plus amusant, du moins pour nous autres habitués du festival, débarque à la fin. D'abord avec la présentation cannoise de Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu, où Woody Allen laisse éclater son mépris pour ce genre de rituels promotionnels, le temps de quelques scènes qui nous remettent en place avec virulence. Puis vient le temps de la sortie triomphale de Minuit à Paris, plus grand succès à ce jour du cinéaste, ce que Owen Wilson commente d'un rigolo : "The dude is Michael Bay !". Surtout, on assiste à l'étrange spectacle d'une boucle bouclée, comme l'éternel retour du Cannes circus : il y a un an jour pour jour, au même endroit, nous étions les acteurs de ce documentaire, et nous avons le sentiment de contempler le temps passé avec une pointe de nostalgie.

Puis vint le temps du deuxième film de la compétition, l’Égyptien Après la bataille de Yousri Nasrallah. On ne va pas tergiverser : l’affaire est très vite mal barrée. Nasrallah cherche à la fois à faire acte de fiction tout en se référant à un épisode de la Révolution Égyptienne où le pouvoir de Moubarak a fait appel à des cavaliers habitués à faire visiter les pyramides pour gagner leur vie afin de disperser les manifestants place Tahrir. Le cinéaste se sépare rapidement de cette anecdote historique et documentaire pour mettre en place ses personnages : une journaliste engagée dans la Révolution et un des cavaliers, dont elle tombe amoureuse avant de se rendre compte qu’il a participé à cette action. Celui-ci a des excuses : non seulement il n’avait pas conscience de son geste politique, mais il s’est ridiculisé face aux nombreuses caméras amateurs braquées sur l’événement, puisqu’il est tombé de son cheval et a failli être lynché par la foule.

Deux énormes problèmes se posent dans Après la bataille. D’abord, l’inflation dialoguée qui le fait ressembler à une mauvaise sitcom, qui plus est interprétée par des acteurs incertains. Nasrallah cherche de surcroît à tout aborder à l’intérieur : questions politiques et sociales (la place de la femme, le problème de l’exploitation par le pouvoir des couches populaires, la démocratie déjà confisquée par les mafieux corrompus) mais aussi enjeux sentimentaux. Il passe la plupart du temps sans transition de l’un à l’autre, créant des séquences bavardes et statiques qui s’enchaînent à un rythme monotone, à peine bousculées par quelques incartades sur le vif où les comédiens vont se mêler à la foule des révolutionnaires. Mais surtout, surtout, Après la bataille est d’une grande pauvreté cinématographique : la direction artistique est piteuse, la photo juste correcte et les quelques tentatives de la mise en scène pour se sortir du piège du champ contrechamp sont la plupart du temps ratées. On voit bien que Nasrallah, qui ne fut pas pour rien l’assistant de Youssef Chahine, a envie de prendre le relais d’une tradition ambitieuse du mélodrame égyptien. Il n’en offre hélas qu’une version Plus belle la vie, où rien, finalement, n’a d’importance : ni le présent, ni la fiction, ni le discours.

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