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Cannes 2012, le palmarès : Et maintenant, on va où ?

Pendant tout le festival de Cannes, nous avions en tête l’édition 2010, «l’édition de la mort» comme on a pris la peine de l’appeler, celle où la compétition avait été particulièrement médiocre. Cette année-là, le Palmarès de Tim Burton et de son jury avait sauvé les meubles en récompensant Oncle Boonmee d’Apichatpong Weerasethakuhl. Ce n’était pas le meilleur film de la compétition — selon ses goûts, on pouvait préférer Poetry, Another year ou Des hommes et des Dieux ; mais c’était celui qui ouvrait le plus de perspectives sur le cinéma du futur.

En 2012, la compétition, faiblarde, comportait tout de même à l’arrivée plus de grands films qu’en 2010. On en a compté cinq : Amour, Holy Motors, Mud, De rouille et d’os et Moonrise kingdom. Il y avait donc largement de quoi confectionner un palmarès qui allait laisser un bon souvenir de cette édition. Mais Nanni Moretti a réussi l’exploit jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’aux raisons avancées pour la remise d’une Palme pourtant logique, de souligner au contraire à quel point le festival avait failli cette année.

Commençons donc par cette Palme d'or à Amour de Michael Haneke. Film incroyable, surprenant de la part du cinéaste, qui pour la première fois se met en jeu à l’intérieur de sa fiction et ne semble plus filmer au-dessus de ses personnages mais à leur hauteur. Sa mise en scène n’en est que plus forte : la perfection du cadre, de la lumière, du découpage et des mouvements de caméra intensifiant le caractère poignant du drame qu’il raconte. Un chef-d’œuvre donc. Mais Moretti, lui remettant la Palme, l’a fait en précisant qu’elle correspondait aussi à la contribution de ses deux comédiens. Certes, Trintignant et Riva sont exceptionnels dans Amour ; mais la Palme consacre avant tout un film, donc le travail d’un cinéaste. En minimisant (par maladresse ou par malveillance ?) l’apport d’Haneke, Moretti a terni ce qui était pourtant le seul prix justifié de son Palmarès.

Car le reste est systématiquement discutable. Reality de Matteo Garrone reçoit le Grand Prix ? On aime et défend le film, mais comme une œuvre mineure, avec des défauts mais aussi d’authentiques qualités d’écriture, de jeu et de mise en scène. Le Grand prix est donc bien trop large, et le fait que Garrone l’ait obtenu il y a cinq ans avec un film déjà surestimé (Gomorra) est rageant. Les deux prix (interprétation féminine pour ses deux actrices et scénario) à Au-delà des collines de Cristian Mungiu ? Là encore, drôle d’idée : c’est avant tout la mise en scène qu’il faut distinguer dans le film, le scénario n’étant que le déroulé, parfois fastidieux, d’un programme et les comédiennes des expertes du jeu blanc, du moins dans la très longue exposition.

Le prix du jury à Ken Loach et La Part des anges ? Là, c’est carrément n’importe quoi… Loach a sans doute signé un de ses pires films, se planquant derrière la comédie pour camoufler une paresse d’écriture et de réalisation flagrante. Et enfin, le plus improbable, le Prix de la mise en scène à Carlos Reygadas qui, probablement encouragé par les tweets de Thierry Frémaux, s’est permis de remercier la presse qui «n’a pas cessé de me flatter depuis trois jours». On reste persuadé que Reygadas est un grand cinéaste, et il n’y a rien de grave à se fourvoyer le temps d’un film. Nous avons défendu Batalla en el cielo, Lumière silencieuse ou son segment de Revolución, mais Post Tenebras Lux est une œuvre bordélique qu’on soupçonne d’arrière-pensées festivalières, tant elle semble recycler le travail des cinéastes distingués ces dernières années (Dumont, Von Trier, Weerasethakuhl, Sokourov…) pour en faire une sorte de matière plastique dont le sens est tellement lâche (et même douteux) qu’il pose lui aussi problème.

Là débarque une autre question : les quatre films que l’on vient de citer sont coproduits ou distribués par Jean Labadie et sa société Le Pacte, distributeur l’an dernier d’Habemus Papam de Moretti. Le travail de Labadie est essentiel pour le cinéma d’auteur mondial, depuis l’époque où il était à la tête de Bac Films. Sans lui, beaucoup d’immenses cinéastes n’auraient pas pu mener à bien leurs œuvres les plus ambitieuses. Qui plus est, il est un des rares à accompagner les auteurs sur la longueur, avec une vraie vision de producteur, respectueux et conscient de la place du spectateur. Moretti lui aurait-il rendu la politesse en lui filant un coup de pouce très généreux avec ce palmarès ? On n’ose pas tomber dans ce genre d’hypothèses paranos, mais c’est quand même assez troublant pour être souligné. Et on se souvient que l’on avait bouffé tout cru Tarantino pour moins que ça, lorsqu’il avait remis la Palme à Farenheit 9/11 produit par ses amis les frères Weinstein…

De toute façon, le problème est autant dans les oubliés que dans les présents. Et en particulier Carax et son Holy motors, qui avaient vraiment le profil pour une Palme aussi pertinente qu’Oncle Boonmee ou Tree of life. Des œuvres si singulières, aux émotions si franches (Holy motors, c’est drôle et c’est triste…) et aux images si évidemment inspirées qu’elles défient la simple actualité et s’inscrivent dans une temporalité plus large (osons le mot : l’Histoire du cinéma). Autre manque grave : les deux Américains qui ont ouvert et fermé le festival, Wes Anderson et Jeff Nichols… Ces trois noms-là, jamais distingués à Cannes en sélection officielle, auraient apporté du sang neuf. À la place, Moretti a choisi de primer ceux qui avaient déjà une collection de récompenses chez eux (Mungiu, Loach et Haneke avaient déjà reçu une Palme d’or) ; on l’a déjà dit, la question du renouvellement commence à se poser sérieusement pour la compétition.

Le renouvellement, on l’a trouvé à la Quinzaine des Réalisateurs qui, après deux ans de morne plaine sous la direction de Frédéric Boyer, a retrouvé des couleurs grâce à Édouard Waintrop. On n’a pas tout vu de sa sélection, mais tout ce qu’on y a vu nous a plu. L’axiome est simple, et il devient spectaculaire quand on compare les films : l’austère et beau Sueño y silencio de Jaime Rosales voisinait avec le joli film d’animation Ernest et Célestine ; Adieu Berthe !, la comédie qui marque le retour en forme de Bruno Podalydès après l’échec de Bancs publics se retrouvait aux côtés de l’excellent No de Pablo Larrain, sur le plébiscite organisé en 1988 par Pinochet au Chili ; le dernier Michel Gondry, The We and the I, s’offrait une belle séance d’ouverture tandis que la séance spéciale permit à Ben Wheatley avec Sightseers de confirmer les grands espoirs placés en lui. Si tous ces films (à part le Larrain) n’avaient pas forcément l’étoffe de la Compétition officielle, la Quinzaine s’est affirmée comme un endroit où l’on voit simplement des bons films, parfois audacieux, parfois classiques, et qui vont constituer à coup sûr autant de petits événements lors de leur sortie en salles.

Aucun doute que cette bonne santé de la Quinzaine va influer sur l’édition 2013 du festival de Cannes, tant la sélection officielle a toujours su profiter du travail des sections parallèles pour préparer l’avenir. Preuve en est : en 2011, Jeff Nichols faisait sensation à la Semaine de la critique avec Take shelter ; en 2012, il a ébloui la compétition avec Mud. Après la pluie, le beau temps : cela valait pour le ciel cannois, cela devrait valoir aussi pour le festival l’année prochaine.

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