Palmarès décevant pour festival décevant : Cannes 2012 a fermé ses portes le dimanche 27 mai, laissant une poignée de beaux films, une Palme logique et quelques figures récurrentes d'un film à l'autre. Dernier bilan.Christophe Chabert
La semaine dernière, on promettait la Palme d'or à Leos Carax et à son Holy motors. On y croyait, persuadés que Nanni Moretti allait être sensible à cette ode enthousiaste à un cinéma finissant, dont les relents autobiographiques n'étaient pas sans rapport avec son Journal intime. Finalement, c'est l'incontestable Amour de Michael Haneke qui l'a emporté, le film le plus abouti de la compétition, un chef-d'œuvre certes mais qui paraissait presque trop attendu dans ce rôle. Après Oncle Boonmee et Tree of life, on rêvait à nouveau d'un film hors norme au sommet d'un festival 2012 beaucoup trop normé. Ce que le reste du palmarès, pas loin d'être indigne, n'a fait que souligner : surestimation d'œuvres imparfaites (Au-delà des collines, Reality), sacre de cinéastes dans une mauvaise passe (Reygadas, dont la sorcellerie a viré au charlatanisme, Loach et son téléfilm paresseux)... Seule la Caméra d'or au fabuleux Beasts of the southern wild n'a pas fait un pli. Le jury a même oublié un très beau film surgi au dernier jour du festival : le magnifique Mud de Jeff Nichols, balade sauvage dans l'Arkansas et dans le grand récit américain, raconté à hauteur d'enfants avec une simplicité et une évidence dans la mise en scène qui nous a littéralement bouleversés. Trop tard, sans doute, pour que le palmarès lui fasse une petite place.
Quand tu chantes, quand tu chantes...
Mud fermait la compétition et Moonrise kingdom l'avait ouverte. Deux films qui dialoguaient inconsciemment ensemble, puisqu'on y retrouve plus d'un motif commun : l'enfance qui découvre l'amour, l'île comme lieu de l'aventure, l'âge adulte comme foyer de mensonges pour éviter d'avoir à affronter la dureté de l'existence. Nichols et Anderson, avec des styles opposés, réinventent le récit d'apprentissage en le renversant comme un gant : ce n'est pas l'innocence qui les intéressent, mais l'absence de désillusion, la force créatrice et l'élan vital. Bizarrement, Michael Haneke, qui filme à l'autre bout du spectre le crépuscule de l'amour entre deux octogénaires, arrive presque à la même conclusion : quand la vie se dérobe sous nos pieds, il ne reste plus que la simplicité enfantine des sentiments, la beauté des moments inoubliables pour terrasser la douleur de la perte (de soi et de l'autre). Par exemple, chanter ensemble Sur le pont d'Avignon, comme les deux gamins de Moonrise kingdom dansant sur la plage au son de Françoise Hardy. Dans Holy motors, c'est aussi une chanson, de Neil Hannon et Kylie Minogue qui réunit une dernière fois deux amants (du Pont-neuf ?) dans une Samaritaine fantôme. Moment de grâce et d'émotion comme Carax n'en avait jamais filmé. Même Carlos Reygadas tentait de réconcilier ses époux déchirés dans son incongru Post Tenebras Lux en les faisant chanter (faux) un morceau de Neil Young au piano ! De toute façon, on chantait beaucoup à Cannes cette année, et la sélection offrait une playlist à même de remplir avec goût le plus branché des IPod : reprise country de White light, white heat dans Lawless, tubes folk de Bon Iver dans De rouille et d'os, Sinatra au générique du Resnais, Dider Wanpas dans Le Grand soir, le best of des années 80 dans Laurence Anyways, ou encore, scène mémorable, Émilie Dequenne fondant en sanglot dans une voiture en écoutant Femmes, je vous aime de Julien Clerc dans le très beau À perdre la raison de Joachim Lafosse.
En voiture, Simone !
La voiture, c'est l'autre motif qui circulait d'un film à l'autre de ce Cannes 2012. Notamment deux limousines blanches : celle qui transporte Monsieur Oscar d'un rôle à l'autre dans Holy Motors, et celle d'Eric Packer, à la fois bureau roulant et tombeau de ses émotions dans Cosmopolis de David Cronenberg. Il s'y demande «Où vont les limousines la nuit ?», question à laquelle Carax répond dans la dernière scène d'Holy Motors. Le bilan carbone des films était donc globalement mauvais cette année : on roule beaucoup dans Like someone in love d'Abbas Kiarostami (ce n'est pas la première fois chez lui, et c'est un des nombreux effets de signature du film), Cogan, La Mort en douce d'Andrew Dominik et bien sûr Sur la route de Walter Salles, dont la voiture est presque mieux regardée que les personnages. Michel Gondry a poussé la chose à son maximum : dans The We and the I, galvanisant film de proximité, il passe 1h30 dans un bus avec trente acteurs amateurs de Brooklyn ! Pour tous ces cinéastes, un même paradoxe : le véhicule n'est pas une affaire de mouvement, mais au contraire un espace de repli hors de la vitesse du monde, où l'on peut faire le point sur soi, sa communauté, le cinéma, l'économie, la politique... Le plus grand et ironique contrechamp aux cortèges qui conduisaient des stars inaccessibles sur le tapis rouge cannois !