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La Vie en Roses

Événement aux Nuits de Fourvière avec l'unique date française de l'inespérée reformation des Stone Roses. Une résurrection qui a tout d'une rédemption pour ce quatuor mancunien qui, à l'aube des années 90, eut le monde à ses pieds, juste le temps que le ciel ne lui tombe sur la tête. Stéphane Duchêne

L'annonce de la conférence de presse n'avait pas suffi. Il aura fallu, le 18 octobre dernier, voir Ian Brown, John Squire, Gary «Mani» Mounfield et Alan «Reni»Wren s'asseoir à la même table l'air malicieux pour, tels Saint Thomas, parvenir à y croire : les Stone Roses, qui avaient toujours tenu leur reformation comme plus improbable que celle des Beatles, sont de retour. Et si ce retour était si attendu et, contrairement à d'autres, si nécessaire, c'est que les Roses devaient, depuis 16 ans, une revanche à leurs fans. Histoire de faire passer le goût d'inachevé d'une fin aux airs de dégringolade. De très haut, la dégringolade. Car comme l'écrit John Robb, leur biographe : «[Les Stone Roses] étaient le groupe le plus influent et le plus cool de leur génération. […] Ils avaient tout mais ont glorieusement tout foutu en l'air». Selon Eschyle, «mourir glorieusement est un bienfait des Dieux». Ou, corrigera-t-on, une malédiction.

Surtout quand, pour exister, on a affronté les éléments pendant près d'une décennie. The Stone Roses l'album, celui-là même qui assoit la légende du quatuor, sort en 1989 mais en réalité le groupe existe, sous différentes formes, différents noms et différents styles, tous moins inspirés les uns que les autres, depuis le début des années 80. Leur premier single So Young, produit en 1985 par Martin Hannett, ex-accoucheur de Joy Division, est un désastre. Hannett, qui a beaucoup grossi et complètement dévissé mentalement, laisse les potards suivre la courbe de son ventre posé sur la console : «la courbe Hannett». À la première écoute, le résultat sonne si aigu que le batteur Reni se met à saigner du nez. Pour l'heure, le seul coup d'éclat du groupe reste d'avoir tagué son nom une nuit sur tous les monuments de Manchester.

Top of the Pops

Le groupe dégote ensuite un manager fantasque et ripoux en la personne d'un vendeur de slips nommé Gareth Evans, qui aujourd'hui encore clame : «Je suis les Stone Roses». Evans a au moins le mérite de laisser à disposition pour répéter ses deux clubs, les «International» 1 et 2 – rivaux de l'Haçienda de Tony Wilson qui déteste les Roses –, de trouver des concerts (dont il distribue gratuitement des tickets dans la rue et sur les plateaux des cantines de la fac), et même un improbable contrat avec Revolver FM. C'est sur ce label de... metal que le groupe sort en 1987 le premier single qui définit la pop façon Stone Roses : Sally Cinnamon.


Mais c'est avec l'arrivée d'une vieille connaissance, le bassiste Gary Mounfield, alias Mani, que le puzzle prend définitivement forme. Mani est le parfait complément rythmique du batteur génial et instinctif qu'est Reni – le meilleur batteur de sa génération, si talentueux que Pete Towshend, légendaire guitariste des Who, tente de le débaucher. Les deux constituent une colonne vertébrale à la fois inébranlable et élastique autour de laquelle viennent s'enrouler les serpentins d'arpèges cristallins de John Squire «guitare anti-héros» et artiste-peintre – il réalisera toutes les pochettes du groupe. Quant à Ian Brown, figure de proue du quatuor, il invente une attitude qui mélange la morgue de Mick Jagger et une forme de nonchalance simiesque, lui valant le surnom de «King Monkey». Ces quatre garçons dans le vent ont tout.

D'autres labels commencent d'ailleurs à s'intéresser à eux et le nouveau-né Silvertone l'emporte devant la référence Rough Trade, le label des Smiths, qui a juste le temps de produire avec eux Elephant Stone, autre single-signature. Peter Hook de New Order est aux manettes, mais son emploi du temps oblige le groupe à faire appel à John Leckie, connu pour ses hauts faits psychédéliques, pour mettre en boîte un album entier. Avec les premiers singles et une tournée au long cours, où le groupe passe parfois de 4000 spectateurs à 50 suivant les villes, l'enthousiasme local se mue en curiosité nationale. Jusqu'à la sortie du très dansant Fools Gold, un single pour les clubs qui les envoie pour la première fois dans le top 10 des charts anglais et, consécration suprême, à l'émission Top of the Pops. La force des Roses : redonner du souffle au rock à guitares, tout en captant l'air du temps de ce que l'Angleterre de 1988-89 appellera, sous l'effet de la drogue empathique qu'est l'ecstasy, «the Second Summer of Love».


Spike Island

Malgré des rapports tendus avec la presse, les Stone Roses deviennent un phénomène : meilleur groupe, meilleur nouveau groupe, meilleur single et meilleur album de l'année 1989 pour l'hebdomadaire NME. The Stone Roses, qui sera bien plus tard consacré meilleur album anglais de tous les temps, est un véritable chef d'œuvre : un alignement de tubes inégalables, euphoriques et extatiques, imprégnés de psychédélisme 60's et d'esprit acid-house, de références situationnistes, de branlitude et de recherche musicale – le travail de John Leckie y est remarquable. Son finale, I am the resurrection, est la promesse christique d'un retour encore plus grand. À moins qu'il ne s'agisse du refus inconscient de mettre un terme à cette communion cosmique, à un album joué comme s'il devait être le dernier de l'histoire du rock.


The Stone Roses - I Am the Resurrection [Live... par Vilosophe


C'est un peu le même sentiment qui anime le quatuor lorsqu'à l'issue d'une nouvelle tournée en état de grâce, il décide d'organiser un concert géant, l'une de ces raves à guitares dont il a désormais le secret. Le 27 mai 1990, à Spike Island, sur la rivière Mersey, où trône, ironiquement, une usine chimique, 30 000 spectateurs se présentent pour ce qui doit être le Woodstock d'une génération qui pense que l'ecstasy va changer le monde. 95% du public étant très haut perché, la communion est totale, malgré le vent qui rend le concert quasi inaudible. L'ultime concert de la tournée à Glasgow, la meilleure prestation live du groupe, marque aussi la fin du rêve – personne ne sait encore que Reni ne remontera jamais sur scène avec les Roses. Comme si les Roses ne pouvaient aller plus haut. Car derrière, c'est le vide. Pendant quatre ans.

Second Coming

Deux ans de procédures judiciaires pour se débarrasser d'un contrat très «unilatéral» avec Silvertone pendant lesquels le groupe ne peut légalement rien enregistrer. Suivi de pas mal de bon temps à profiter de l'avance du généreux géant américain Geffen (2 millions de £ d'avance sur un contrat de 20) négociée par un Gareth Evans viré dans la foulée car «pris la main dans le pot de confiture» – alors qu'il l'y avait depuis le début. Comme l'avouera Mani : «si nous avions enchaîné tout de suite avec un deuxième album, nous serions devenus le plus grand groupe de tous les temps. Au lieu de ça, nous avons perdu notre mojo». Après plusieurs tentatives infructueuses, John Leckie passe la main et le groupe passe 347 jours en studio pour accoucher de Second Coming. John Squire y a pris les rênes, quasi-seul, avec pour seule obsession musicale Led Zeppelin – préférant même l'usage d'une boîte à rythmes aux talents d'un Reni dégoûté.


The Stone Roses - Love spreads par jesus_lizard


Lorsque sort cet album Arlésienne, à l'automne 94, l'Angleterre n'en a que pour les nouvelles coqueluches Blur et Oasis et l'accueil est circonspect. Les Stone Roses n'ont plus le goût sucré et pétillant de cette pop moléculaire qui virevoltait aux oreilles. Les Stone Roses ne sont plus les Stone Roses. Trois mois plus tard, Reni disparaît du jour au lendemain sans raison. Concerts annulés après concerts annulés, John Squire jette l'éponge début 96 et l'entêtement d'Ian Brown et Mani s'achève six mois plus tard après un concert apocalyptique à Reading, le NME écrivant qu' «I am the resurrection» s'est mué en «une interminable crucifixion». Celle, sur l'autel de la gloire, d'un groupe qui aurait régner sur le monde. Seize ans plus tard, Ian Brown en conférence de presse plaisante : «Vous assistez à une résurrection en direct». En espérant qu'elle soit complète et s'achève, le temps d'un concert, par une montée au ciel.

The Stone Roses + Mick Jones & the Justice Tonight Band
Au Grand Théâtre, dans le cadre des Nuits de Fourvière
Lundi 25 juin

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