Racé !

Racé !

Le pouvoir pour quoi faire ? Pour son retour aux Nuits de Fourvière, et en pleine période électorale (pas seulement en France !), Michel Raskine a l'audace de choisir la pièce cinglante de Thomas Bernhard, Le Président. À la hauteur de ce texte incandescent, il signe une mise en scène qui a du chien ! Nadja Pobel

Ça fait sens. Au bout de l'heure quarante de ce spectacle, il est évident qu'il arrive au bon moment (période électorale avec des enjeux plus importants encore en Grèce et en Égypte que dans l'Hexagone), au bon endroit (un chapiteau de cirque) et qu'il est entre les mains de la bonne personne, Michel Raskine. Il avait déjà brillamment mis en scène Thomas Bernhard en 2000, replié dans un coin de la scène du Point du jour avec Au but. Paru en 1975, Le Président fait polémique dès sa création car il fut joué à Stuttgart où se déroulait alors le premier procès de la Fraction Armée Rouge, ces anarchistes emmenés par Andreas Baader et Ulrike Meinhof. Or Le Président, c'est précisément le récit de ce clivage entre un pouvoir autocrate et vain qui s'amenuise face à l'adversité - en l'occurrence des anarchistes. Fiction ou réalité ? Peu importe. Thomas Bernhard s'est toujours délecté de ces parallèles et ne cesse d'incriminer son pays et les puissants. Ici, un couple présidentiel vient de réchapper à un attentat. Un colonel et leur chien ont succombé. Pour la Présidente, c'est un drame absolu que d'avoir perdu son animal, son mari a droit à bien moins d'égards. Dans la deuxième partie, vient un autre quasi monologue, celui de son époux, réfugié dans les bras de sa maîtresse actrice sous le soleil d'Estoril, dans le Portugal de Salazar.

Ayez peur

Michel Raskine s'appuie sur deux comédiens hors pair : l'éternelle Marief Guittier grimée comme dans Max Gericke ou Jean-Jacques Rousseau, magistrale dans les ruptures de ton, dans sa capacité à restituer les soubresauts de la langue et Charlie Nelson, pathétique autocrate au rire sardonique. Les autres personnages ? Des marionnettes ! En se confrontant à sa femme de chambre en chiffon, la Présidente expose ses névroses qui sont d'autant plus exacerbées qu'elle les adresse finalement à elle-même. Souvent cruelle («vous portez si bien les vêtements que je jette» lui dit-elle), elle lui parle avec la même perfidie que Solange et Claire s'adressent à une Madame absente dans Les Bonnes, comme une Norman Bates au féminin aux prises avec sa psychose. Condamnant d'un même geste, le mécénat, les écoles d'art (le Conservatoire), l'Église, Thomas Bernhard transpose ensuite ses personnages sous les cocotiers d'une dictature qui ne dit pas son nom. Fond bleu et tapis jaune vif, l'opulence n'est plus qu'un amoncellement de coupes de champagnes vides en plastique selon Michel Raskine. Avec intelligence, il construit un final sidérant renvoyant dos à dos la mort d'un président, l'Autriche et l'Europe à l'heure où l'Union européenne se maintient debout au prix de la souffrance de ses peuples. Dans ce bal des perdants, l'angoisse devient une compagne trop fidèle. Si, au commencement, le leitmotiv du texte est «ambition, haine», la peur s'immisce dans la deuxième moitié du texte. Une peur que la Présidente, terrifiée par les terroristes, tente d'inoculer comme un poison en venant dans la salle sonder le public. «N'avez-vous pas peur qu'un anarchiste vous guette ?». Que d'échos à ce printemps 2012 !

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