Sister Act

Il y a longtemps qu’il les aime, jamais il ne les a oubliées. Dix ans après avoir posé les jalons d’une mise en scène des "Bonnes", voilà qu’Éric Massé présente un travail mature et accompli totalement centré sur les deux sœurs, au risque de desservir Madame. Nadja Pobel

Des pantins. C’est comme ça qu’apparaissent Les Bonnes vues par Éric Massé. Dans les lambris d’un reste de château baroque, visages grimés de blanc, les sœurs jouent à toute allure comme si elles profitaient autant que possible du temps de liberté que leur confère l’absence de Madame.

Elles fomentent leur «cérémonie», selon le mot de Genet repris par Chabrol pour son film lointainement inspiré du meurtre perpétré par les sœurs Papin en 1933, et s’épuisent à inventer une stratégie pour faire succomber leur maîtresse. Quand, soudain, elles respirent et offrent un moment de tendresse inattendu. «Claire, redeviens ma sœur» dit avec supplication Solange à sa sœur aimée dont elle est proche au point parfois d’avoir un élan incestueux.

Massé insuffle ce qui manque à nombre de versions des Bonnes : un peu de chair et de sentiments en supplément à la mécanique trop bien huilée de ce texte.

Deux contre une

Depuis plus de dix ans, le metteur en scène porte cette pièce (il propose même une version "intimité" dans des lieux hors théâtre centrée sur les sœurs au cours des prochains mois) et a une parfaite connaissance de son enjeu ; sa confiance absolue en ce duo lui permet de les installer dans un univers accidenté (espace de jeu réduit,  embûches au sol…) et les comédiennes Marie-Laure Crochant et Cécile Bournay relèvent haut la main ce défi.

Au moment où entre Madame pourtant, le rythme se brise. Non pas que l’actrice (la très jeune Camille Rutherford) ne dépareille dans ce duo – elle a un talent incontestable – mais sa jeunesse et son accoutrement gothique rendent peu crédible son emprise sur les deux sœurs.

Enfin si, de prime abord, le décor kitsch et l’utilisation plutôt habile de la vidéo (via un Iphone !) peuvent paraître trop modernes voire superfétatoires, la manière dont Éric Massé se les approprient et les maltraitent (la toile de fond est tâchée et partiellement détruite à la fin de la pièce) évite que cela ne se transforme en cocon trop duveteux qui ne siérait pas à la rage de ces sœurs survoltées, victime d’un monde pyramidal qui les a rendu folles.

Les Bonnes
À l’Espace culturel de Saint-Genis-Laval, jeudi 25 octobre

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