Thérèse Desqueyroux

Avec cette adaptation de François Mauriac, Claude Miller met un très beau point final à son œuvre : réquisitoire contre une bourgeoisie égoïste, cruelle et intolérante, le film fait vaciller son rigoureux classicisme par une charge de sensualité et d’ambiguïté. Christophe Chabert

Quatre gouttes d’arsenic dans un verre d’eau. C’est le rituel quotidien qu’effectue Bernard Desqueyroux, riche bourgeois girondin un peu hypocondriaque, pour calmer ce qu’il pense être des alertes cardiaques. Pour sa femme Thérèse (Audrey Tautou, dans un grand rôle à sa mesure), avec qui il s’est uni par intérêt, ce rituel est comme le reflet d’un ordre qui l’étouffe. Un jour, elle décide de le fausser et son geste va tout faire vaciller. À commencer par la mise en scène de Claude Miller : jusqu’ici, il racontait avec un classicisme élégant l’histoire de Thérèse Desqueyroux, préférant la chronologie aux flashbacks du roman de Mauriac.

Le trouble venait d’ailleurs : de cette ouverture pleine de sensualité où deux jeunes adolescentes se livraient à des jeux aux relents érotiques, baignées dans la lumière dorée de l’été aquitain ; de ce voilier qui passe au loin et dont le propriétaire, Jean Azevedo, n’est qu’un «juif» pour Bernard Desqueyroux ; dudit Azevedo qui séduit la sœur de Bernard, passion fougueuse qui ébranle un temps la discipline bourgeoise de la famille. C’est d’ailleurs lors d’une lune de miel pétrifiée dans l’ennui de Baden Baden que Miller introduit le ver dans le fruit : tandis que Thérèse lit les lettres de Marie, l’image de son amie entre les bras de son amant ne cesse de la hanter.

Politique du papier peint

Miller raconte donc le retour de la complexité émotionnelle dans un monde (la grande bourgeoisie française des années 30) qui les a en horreur. Thérèse est un être pensant, nourri de littérature et de poésie, emprisonné dans un matérialisme où le maître mot est «simple».

Préserver les apparences, se tenir éloigné du scandale à tout prix, cela revient à enfermer ceux qui peuvent le déclencher. Dans sa deuxième partie, Thérèse Desqueyroux a des accents presque polanskiens : un papier peint qui se décolle longuement filmé en très gros plan, matérialise visuellement tous les désordres intérieurs de Thérèse. Et l’incroyable cruauté qui se déverse sur elle ne conduit pas Miller à une condamnation facile de ses personnages.

L’épilogue, magnifique, qui vient donc conclure toute son œuvre, rend soudain Bernard bouleversant (car presque bouleversé, ce que Gilles Lellouche joue admirablement). C’est aussi une ouverture vers la liberté, la vraie, celle que ce cinéaste de l’inquiétude n’a cessé de chercher tout au long de sa carrière.

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