Tous à vos marinières ! Si The Bewitched Hands et Concrete Knives sonnent comme le meilleur de la pop anglo-saxonne, ils n'en sont pas moins les ambassadeurs d'une pop française dont le renouveau est un éternel recommencement. Et une arme fatale pour conquérir le monde. Stéphane Duchêne
Il fut une époque où la pop des régions (on n'a plus le droit de dire « provinciale », ça fait parigot) avait pour épicentres Toulouse ou Rennes. Nancy fut également un temps à la pointe, on en a encore la preuve la semaine prochaine avec le retour de Kas Product – improbable créature américano-lorraine qui fit danser jusqu'outre-Manche. Puis Clermont-Ferrand plus récemment, dans le sillage de la Coopérative de Mai. Si l'on devait aujourd'hui distinguer les deux places to be en matière de musique de jeunes, nul doute que Reims et la Basse-Normandie (Caen et ses environs) sortiraient haut la main du chapeau.
D'un côté, The Shoes ou Yuksek, Alb, The Film ou Brodinski ont déjà fait des dégâts aussi bien dans la presse que sur les dancefloors ou, comme disait Coluche, « dans les milieux autorisés ».
De l'autre, le bocage normand est actuellement en train d'accoucher d'une ribambelle de formations toutes plus sexys et créatives les unes que les autres (Lanskies, Chocolate Donuts, Da Brasilians, Jesus Christ Fashion Barbe). Voilà que cette semaine, ces deux faces d'une même France d'en haut se replient l'une sur l'autre à l'occasion d'une enthousiasmante affiche au Kao.
Rois et vampires
D'une part, Bewitched Hands, dont les états de service ont déjà été pas mal épluchés à travers leur premier album Birds & Drums et leurs copinages avec certains des Champenois précités.
D'autre part, un scooby-gang fleuri nommé Concrete Knives venu de Flers dans l'Orne (pas la plus rock'n'roll des destinations a priori) qui nous avait tout tourneboulés avec son EP You Can't Blame the Youth et un concert d'anthologie au Kafé – un parmi d'autres d'une tournée révélation qui les aura vu séduire les Transmusicales et Bourges.
Concrete Knives - Brand New Start par LeMouv
Depuis, les Bewitched Hands, ont sorti Vampiric Way, leur second album, et les Concrete Knives, Be Your Own King, leur premier : deux petits bijoux de pop frondeuse et décomplexée (puisque le mot est à la mode) animés par le même souci contradictoire d'une sophistication sans concession et de l'efficacité la plus élémentaire.
Concrete Knives, signé sur le prestigieux label anglais Bella Union, dirigée de main de maître par l'ex-Cocteau Twins Simon Raymonde, littéralement tombé en amour pour l'énergie du groupe lors d'un concert montréalais, est le prototype du groupe qui ne se laisse rien dicter tout en véhiculant un je-m'en-foutisme de façade qui ne fait que rajouter à sa coolitude.
A Nicolas Delahaye, grand fan de metal, le cerveau et la conception des chansons, à ses trois acolytes musiciens, les jambes qui font courir ses petits hymnes insatiables, et à Morgane Colas la chanteuse, le visage, espiègle et énigmatique du groupe. Nul doute, sans rien enlever à ses camarades, que sans elle, le groupe n'en serait pas là. Dans le rôle de la fée, Morgane, jeune Debbie Harry qui se prendrait pour David Byrne ; d'Alice passée de l'autre côté du miroir – cette manière bien à elle d'imposer une présence dingue en ayant l'air d'être ailleurs – ; version chantante de Bez, le clown dealer des Happy Mondays dont une des chansons du groupe porte le nom, fait des merveilles.
Sur Be Your Own King on ne note aucun temps mort et des pépites dont on serait bien en peine de dire laquelle est la plus brillante – essayez donc de vous retirer de la tête un morceau comme Wallpaper. C'est sans doute cette volonté farouche, cette certitude de savoir où il va et cette inépuisable envie d'en découdre qui a conduit le groupe là où il en est aujourd'hui – soit à quasiment s'auto-couronner en un peu plus d'un an d'un buzz d'enfer. Avant un destin qu'on imagine plus grand encore.
Invincible Armada
C'est ce même entrain qui anime les Bewitched Hands sur Vampiric Way, où le groupe, en même temps qu'il s'est délesté d'une partie de son nom à rallonge (anciennement The Bewitched Hands On the Top of Your Head) en lui coupant la tête - ce qui n'est jamais bon dans une perspective vampirique - a également opté pour une approche plus directe, et donc plus immédiatement saisissante, de sa pop. Délaissant ses aspects les plus expérimentaux, conscient que le mieux est non seulement l'ennemi du bien, mais aussi parfois celui du meilleur - – comme en témoigne leur single de l'espace, et pourtant suroxygéné, Thank You Goodbye, It's Over.
The Bewitched Hands - Thank You, Goodbye, Its... par BewitchedHands-Official
Là encore, le collectif prime et l'ensemble se révèle très choral et débordant d'une énergie qui doit à tant de prédécesseurs qu'on ne sait même plus lesquels – mettez le disque devant un miroir vous n'y verrez aucun reflet. Du paradoxe, donc, comme chez Concrete Knives, d'un album parfait parce qu'il ne cherche plus à atteindre la perfection, simplement à exprimer le meilleur d'une capacité rare à digérer des influences, à attraper et à recracher des mélodies attrape-tout dont l'exigence et la richesse ne parvient pas à tuer dans l'oeuf la spontanéité. Mais au contraire la font s'épanouir.
Alors que l'on vous parle cette semaine d'une redoutable British invasion, on peut imaginer que ces deux groupes-là, et quelques autres pourraient bien opérer une riposte de poids et figurer une Invincible Armada, une « grande et très heureuse flotte » qui, elle, ne finirait pas par le fond comme la célèbre flotte de Philippe II d'Espagne. Mais l'emporterait par la forme.
Live Acoustic de Concrete Knives a Marsatac par pure-channel
The Bewitched Hands + Concrete Knives + Mü
Au Kao, jeudi 22 novembre
"Vampiric Way" (Jive Epic Group)
"Be Your Own King" (Bella Union/Coop)