Basé sur un fait divers récemment survenu en Allemagne, "Sun" est un spectacle sensitif sur l'enfance interprété par deux enfants. Une très belle réussite à mettre au crédit du metteur en scène Cyril Teste. Propos recueillis par Aurélien Martinez
«C'est l'histoire de deux gamins de 5 et 7 ans issus d'une famille recomposée qui, le soir du jour de l'an, ont décidé d'aller se marier en Afrique. Ils ont pris leurs valises, embarqué la petite sœur comme témoin, et ont voulu prendre le train. Mais ils ont été interceptés à la gare par la police qui les a ramenés chez eux. Deux semaines après, ils ont recommencé, mais sans la petite.»
Voilà comment le metteur en scène Cyril Teste, du collectif MxM, résume le fait divers à la base de Sun. Une histoire de gosses qui veulent s'échapper, parce que le monde est sans doute plus doux ailleurs, plein d'espoir et de promesses. «Nous, adultes, sommes nostalgiques, alors qu'eux ne le sont pas et n'ont pas à l'être.»
Pourtant, Sun est tout sauf une bluette aseptisée façon Disney, recélant une face plus sombre. «C'est l'enfance dans toute sa complexité et sa noirceur. La plus belle critique que l'on m'ait faite est que je n'oubliais pas que tout ne se passe pas bien dans l'enfance.»
De l'histoire au conte
Sur scène, deux enfants et peu de mots. Mais beaucoup d'images, de sensations... «Ce projet, ce sont les enfants qui l'ont écrit. Je suis énormément parti d'eux, de leur réalité.» Au risque de se compliquer la tâche : «Le code du travail des enfants est très précis. En deux mots, il s'agit de ne pas exploiter les gamins. Quand ils sortent de l'école, tu as le droit à peu de temps avec eux. Mais quand tu les récupères pour aller répéter, ils sont fatigués : tu ne peux pas les obliger à travailler ! Du coup, on a essayé un autre cheminement pour transformer cette histoire en conte. Comme tous les enfants aiment dessiner, on a par exemple aménagé un atelier de peinture dans le lieu de répétition. C'est véritablement en regardant leurs travaux que j'ai commencé à créer le spectacle. D'où le fait que tout débute sur scène par un enfant et un dessin.»
En découle une création atypique, portée par deux jeunes comédiens qui, défi, sont les mêmes à chaque représentation. «À Oullins, ce seront sûrement les dernières dates. Parce qu'après, ils vont devenir des ados. Ils ont commencé ce projet à huit ans. C'est fort de se dire que Sun va partir avec l'enfance de ses interprètes.»
« Un coup de gueule »
Sun est donc un objet théâtral sensitif et hybride convoquant sur le plateau les arts du spectacle et les arts plastiques, mais aussi et surtout, le numérique. «La technologie, c'est notre environnement quotidien. Tout est numérique. Après, il s'agit de se demander comment l'on peut détourner ces outils pour qu'ils deviennent poétiques.»
Un processus propre à ces artistes vingtenaires et trentenaires (Cyril Teste est dans la seconde catégorie), nés avec ces avancées et qui de fait les incorporent tout naturellement dans leur travail. Ce qui a pu désarçonner plusieurs spectateurs et critiques lors des premières représentations au Festival d'Avignon, certains déplorant que nous n'avions plus affaire à du théâtre – avec, en sous-texte, les polémiques récurrentes qui traversent le monde du spectacle vivant sur la possible mort d'un art engagé et politique.
«Sun, ça a aussi été un coup de gueule pour moi, même si ça ne se voit pas ! C'est dire : voilà, il n'y aura pas de propos sur ce projet-là. Des gens sont sortis en se demandant ce que ça racontait. J'ai simplement voulu raconter un état. Je ne dénonce rien. Comme si l'on avait toujours quelque chose à dire... Non, on a parfois simplement quelque chose à faire ressentir, comme l'idée de retrouver la madeleine de Proust.» Une réponse assurée de la part d'un artiste qui, par ailleurs, s'est déjà fortement frotté au théâtre politique par le passé.
Le poétique et le politique
Faut-il alors voir dans cette réception un clivage démographique, la plupart de ces critiques d'un théâtre soi-disant uniquement tourné vers une recherche esthétique émanant de briscards ? «Je ne crois pas que ça soit une question générationnelle. Il y a des metteurs en scène de 80 ans comme Claude Régy qui produisent un théâtre du présent, et qui arrivent à intégrer nos outils sans les faire apparaitre une seule fois sur le plateau. Alors que j'ai vu des spectacles de metteurs en scène de 25 ans qui sont absolument vieux.»
Quant au rapport qu'entretient sa génération au politique, il ne le désabuse pas : «J'ai des amis qui font du théâtre politique très intelligent, comme Vincent Macaigne par exemple. Alors que d'autres vont se contenter de te dire “le monde va mal”. Mais je m'en fous ! Il faut savoir proposer autre chose que le simple constat. Et de toutes façons, faire du poétique, c'est politique».
On ne peut que lui donner raison, et se réjouir que des hommes et des femmes comme lui défendent un théâtre de cette trempe : du spectacle véritablement vivant, pleinement ancré dans son temps.
Sun
Au Théâtre de la Renaissance, mercredi 5 et jeudi 6 décembre