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Quand on arrive en livre !

Sin Fang

Flowers (Morr Music)

Où l'on reparle de l'Islande. Si vous avez déjà suivi le dossier, on vous a déjà présenté Sindri Már Sigfússon (en Islande, c'est un nom très commun) également leader des excellents Seabear. Sindri (en Islande, on appelle les gens uniquement par leur prénom ou leur diminutif, on vous expliquera pourquoi une autre fois) est un être à la fois complexe et d'une rare simplicité, un homme-enfant multi-facettes, à l'image de sa musique, retorse mais toujours d'une grande efficience. Petit génie pop passionné de skate (un sport juste un peu plus répandu en Islande que la pelote basque), pluri-tatoué au visage infantile (au point qu'on se demande s'il ne s'agit pas de décalcomanies), ses airs de Droopy boréal – dont il use sans retenue en concert – semblent lui faire porter toute la misère du monde sur les épaules quand il est en réalité, derrière ce masque délavé aux yeux tombant, d'une drôlerie rentrée, tendance british, absolument désarmante - là encore, le voir en concert.

Barbe fleurie

On l'aura compris, Sindri se cache beaucoup, et lorsqu'il porte des barbes en tissu ou en toute sorte de matière, son péché mignon, c'est un peu pour faire l'imbécile, un peu pour se donner un genre, et beaucoup parce qu'on n'avance jamais aussi bien que masqué. Logiquement, sur la pochette de Flowers, Sindri arbore une barbe de fleurs, littéralement, ce qui a l'heure des bardes à poils longs est sans doute l'une des meilleures idées de pochette de ces derniers mois, sans qu'on sache vraiment s'il s'agit d'un hommage à Charlemagne que la légende immortalisa comme « l'Empereur à la barbe fleurie » (bien qu'il fut possiblement imberbe). Du monde de la pop, Sindri n'est peut-être pas l'Empereur mais assurément un prince. Mais les princes, c'est bien connu, font davantage rêver. Ils viennent habiter vos rêves et réveiller vos fantasmes, nourrir l'imaginaire, sarcler la réalité pour laisser s'épanouir l'onirique. Or, il se trouve que l'onirisme, le Sindri ça le connaît.

D'album en album, que ce soit avec Seabear ou Sin Fang (anciennement Sin Fang Bous pour son premier album, Clangour, petit labo électro-pop en perpétuel chantier), cet explorateur de rêves sonores, gagne en pouvoir d'évocation et en épaisseur d'atmosphère ce qu'il ne perd pas en efficacité mélodique (bien au contraire). Grâce en soit rendue à une production à l'Islandaise – que l'on doit à Alex Somers compagnon et producteur de Jónsi et de son groupe Sigur Rós comme du duo féminin Pascal Pinon), c'est-à-dire à l'étouffée, comme le célèbre aileron de requin cuit dans la cendre chaude (aucun islandais n'a jamais goûté à ce plat folklorique hantant les guides de voyage).

La promesse de l'aube

Ici tout résonne, tout fait écho, comme pour faire sens, tintinnabule en réponse à la mélodie. Ici choeurs et cordes, omniprésents, ont toujours l'air de se trouver à des kilomètres, perchés sur une falaise, quand la rythmique, elle, bat directement dans votre cage thoracique. C'est ainsi que Sindri, qui ne rechigne pas aux embardées garage (See Ribs, garage à violons, certes), sait se faire centre de sa musique sans jamais se prendre pour le nombril du monde. Ainsi que, tel un directeur musical, il orchestre un lyrisme jamais aussi poignant que quand il est savamment dosé (le sublime Feel See). Un lyrisme artisanal, oserions-nous dire, qui se paie de peu d'effets de manche et fonce dans le tas comme une bande de punks avinés (Not Enough), un lyrisme enfantin qui parle d'amour comme seuls savent le faire les gamins en un mélange de naïveté confondante et de cette lucidité tranchante (What's wrong with your eyes ?, Weird Heart) que l'adolescence tente de digérer.

Car c'est bien cette période de la vie, ce passage où l'on fonctionne en mode tribal et sauvage, ses échappées belles, quand fleurissent joies incommensurables sur abîmes de tristesse, qui sont le véritable thème de cet album. Ainsi sur What's wrong with your eyes, cordes et cuivres sonnent en quelque notes comme l'un de ces chagrins roboratifs où se complaire, une promesse de l'aube doublée d'un crépuscule (et sans doute aussi l'inverse), quand tous les espoirs sont encore permis alors même que l'on enterre ses illusions. Cette ambivalence, réside toute entière dans le masque facial de son auteur, hybride d'Auguste et de clown blanc et c'est bien ce mélange de musique aux tripes, tribale et primitive – on pense régulièrement à Animal Collective – et de sophistication qui fait la force d'un Flowers, qui, tout en donnant chair au précepte hugolien selon lequel « créer c'est se souvenir », semble avoir le pouvoir de faire refleurir comme par magie, les fleurs et les barbes que le temps a fanées.

Stéphane Duchêne

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