Qu'est-il arrivé à Harmony Korine ? On l'avait découvert en auteur précoce (19 ans !) du premier film de Larry Clark, Kids, choc instantané qui remettait à plat la mythologie des teenagers américains en la baignant dans un seau de réalisme morbide — comme une répétition générale de ce Spring breakers. Puis on l'avait retrouvé réalisateur du formidable Gummo, où il filmait sans pince-nez l'Amérique, inventant un cinéma du fragment cauchemardesque et rempli d'humour très noir. On se disait alors qu'on tenait un cinéaste majeur. Puis vint son étrange incursion du côté du Dogme danois inventé par Von Trier et Vinterberg pour un Julien Donkey Boy qui ressemblait à une caricature autiste de Gummo. Ensuite, ce sont les tabloïds qui nous apportèrent des nouvelles d'Harmony Korine ; celles d'un garçon perdu dans la drogue et les excès, loin du cinéma, bousillé par sa sacralisation prématurée. Mister Lonely, son troisième film, en roue libre, ne rassurait pas sur son état de santé psychique. Pendant les cinq années suivantes, Korine a filmé des gens masqués qui copulent avec des déchets dans les poubelles pour un film tourné en VHS et diffusé exclusivement sur Youtube, réalisé quelques clips, fondé une famille — sa femme Rachel, avec qui il vient d'avoir un enfant, est une des Spring breakeuses — et s'est fait de nouveaux amis — Gaspar Noé au premier chef. Surtout, il a retrouvé ce qui faisait le prix de Gummo : ce mélange de maîtrise et d'inspiration libre qui n'est pas sans évoquer un certain Terrence Malick, dont Korine serait le petit-fils turbulent et frondeur. N'a-t-il pas classé Badlands et Les Moissons du ciel parmi ses dix films préférés de tous les temps ?
Christophe Chabert