Saga Africantape

African tape night

Le Clacson

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Deux ans après un festival formidablement chaotique, le label transalpin Africantape revient à Lyon le temps d'une soirée. L'occasion de considérer ce laboratoire du rock inouï et de revenir sur le parcours de Julien Fernandez, son exigeant et fuyant fondateur. Benjamin Mialot

Julien Fernandez, le fondateur et amiral du label Africantape, est typiquement le genre de gars qu'on ne peut pas encadrer. On ne dit pas ça parce que sa tête ne nous revient pas. Encore qu'on s'estime heureux de ne pas savoir son regard de teen blasé et psychotique (vous voyez Ezra Miller dans We Need to Talk About Kevin ?) accroché au-dessus de notre cheminée. Si on ose l'emploi de cette formule, c'est parce qu'il est à l'image de la musique qu'il publie : impossible de le faire rentrer dans une case, y compris dans celle qu'il lui manque – on ne s'explique pas autrement l'envie qui l'a pris en 2008, soit au plus fort de la crise du disque, de monter sa petite entreprise. Ce n'est pourtant pas faute de le connaître depuis une paye.

Il mourra pas gibier

Car avant de se la couler dur sur les bords de l'Adriatique (Africantape est basé à Pescara, en Italie), Julien Fernandez étudiait les beaux-arts à Nantes et, surtout, jouait de la batterie au sein du duo Chevreuil. Nous sommes alors au début des années 2000 et, à l'époque, avoir un nom à la con, jouer au milieu du public, prêter attention à la spatialisation du son – la plupart des membres de La Colonie de Vacances ne savaient même pas compter jusqu'à quatre que Tony Chauvin, le guitariste, s'essayait à la quadriphonie avec ses amplis - et se passer d'une basse n'est pas encore la norme dans le petit milieu du rock dit expérimental.

A l'avant-garde de l'avant-garde, Chevreuil arbore déjà ces quatre signes distinctifs. Il est surtout, avec ses compositions pleines de chausse-trappes rythmiques et d'harmonies dissonantes, parmi les premières formations européennes à rivaliser en intensité et en audace avec la référence de la noise indépendante (pléonasme), Shellac. Le trio de Steve Albini, intransigeant et inventif producteur dont le nom figure sur tous les grands albums électriques des années 90, a beau être l'influence la plus évidente de Chevreuil, il est loin d'être la seule : éduqué au hip hop avant que Nirvana ne lui donne pour de bon le goût du vacarme instrumental, Julien Fernandez avoue devoir autant à Led Zeppelin, The Jesus Lizard, Michael Jackson ou encore... Sabrina. Oui, la Sabrina de la piscine. Lard ou cochon ? On ne le saura sans doute jamais. Pas plus qu'on ne saura si Passe-Montagne, l'autre groupe avec lequel il a fait ses armes de mathématicien des fûts, sortira un jour du silence dans lequel il s'est muré.

Caught on Africantape

Cela ne devrait en tout cas pas survenir de sitôt, l'intéressé se disant aujourd'hui «fatigué de jouer de la musique», voire «pas fait pour ça». Un comble, considérant le nombre de musiciens hexagonaux revendiquant l'influence de Chevreuil (qui continue lui à se produire sur scène mais de manière très épisodique). On est toutefois tenté de le croire, au regard de la respectabilité, forcément chronophage et énergivore, acquise en l'espace de cinq ans par Africantape. Une respectabilité d'autant plus significative que le label doit son existence à un hasard - à l'origine, Fernandez voulait publier des livres et c'est pour des raisons économiques et par familiarité qu'il s'est tourné vers l'édition discographique – et qu'il est animé par une logique anticonformiste poussée à l'extrême.

A l'heure où, pour espérer quitter l'ornière, un label doit être exploité comme une marque, Africantape revendique en effet une esthétique «hermétique», à rebours de toutes les modes, même les plus marginales. D'ailleurs, pourquoi Africantape ? «J'aimais bien l'idée d'un nom qui n'avait rien à voir avec ce qu'il représente». La conséquence directe de cette posture à mi-chemin du dadaïsme et du Do It Yourself, c'est que la situation financière de la structure, si elle est loin d'être fragile, n'en est pas pour autant florissante : «Ça va, ça vient. Il y a des moments délicats, mais jusqu'à maintenant, je m'en suis toujours sorti. La santé économique d'Africantape dépend beaucoup de mon vrai travail : celui d'agent de presse européen pour d'autres labels (via l'agence 5 Roses Press, NDLR). Sans ce travail, le label existerait toujours, mais serait bien entendu beaucoup moins productif».

Alchimie chimie Ya

Ce n'est pas peu dire, Africantape s'apprêtant à glisser dans les bacs sa quarante-troisième référence, en l'occurrence le nouvel album de Ventura, trio suisse excellant dans la pratique du clair-obscur mélodique, celle-là même que Sonic Youth et les Pixies ont élevé au rang d'art. Auparavant, le label a révélé Aucan et son post-dusbtep élégiaque, Marvin et sa dance noise épileptique ou encore Peter Kernel et son art punk doucement zinzin, accompagné la mue pop des bruyants bidouilleurs d'Honey for Petzi, pris le risque de commercialiser les invendables et néanmoins passionnants projets multimédias du rappeur et vidéaste Alexis Gideon, offert l'asile (au sens propre) aux mystiques perforateurs de tympans d'Extra Life, sauvé du quasi naufrage de Touch & Go (historique enseigne bruitiste, où loge notamment Shellac) les Shipping News...

Autant de projets immensément dissemblables, aussi bien du gros de l'industrie que les uns des autres, mais dont l'accomplissement repose sur un même processus : la transmutation d'une matière vile – le bruit - en un matériau noble - la musique. On comprend mieux pourquoi lorsqu'on lui a demandé à l'écoute de quels artistes il s'était construit, Julien Fernandez – qui d'ailleurs, sur le site de sa structure, fait de ses disques des œuvres plastiques en les bousillant - a, dans une de ces saillies ambiguës dont il a le secret, glissé le nom de l'alchimiste suisse Philippus Theophrastus Aureolus Bombastus von Hohenheim, alias Paracelse.

Africantape Night : Peter Kernel + NED + Three Second Kiss
au Clacson, jeudi 14 mars

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