article publi-rédactionnels
Le travail du négatif
Par Jean-Emmanuel Denave
Publié Vendredi 5 avril 2013 - 2853 lectures
Photo : Jean-Luc Blanchet, L'Humanité
Jean-Luc Blanchet
Galerie Domi Nostræ
ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement
Procédant par effacement, le peintre Jean-Luc Blanchet redonne vie aux images. Une vie fantomatique, fragile et ambigüe certes, mais d’autant plus intéressante et poignante. Jean-Emmanuel Denave
La technique du peintre lyonnais Jean-Luc Blanchet (né en 1976) est assez singulière : il recouvre entièrement ses toiles de glycéro noire - une substance toxique qui, on le voit sur certaines vidéos où l'artiste porte un masque à gaz, donne à son travail un caractère urgent - qu’il efface ensuite progressivement afin d’obtenir ses images : fleurs, visages, animaux, lamentations… Une technique proche de celle du sculpteur qui produit ses formes par soustraction de matière, d’un Fontana perçant ou découpant ses toiles ou de l’idée de Gilles Deleuze selon laquelle l’artiste (ou l’écrivain) est moins confronté à l’angoisse de la surface blanche qu’à un trop plein d’images et de mots.
The Mediatic People Pop Star Shit System, oeuvre exposée à la galerie Domi Nostrae et sur laquelle figure une Marylin fantomatique flottant parmi des nuages de peinture, constitue un bel exemple de solution pour creuser le "trop plein" ou, tout simplement, montrer l’envers du décor. Mais si Blanchet est parvenu à une certaine virtuosité, c’est bien davantage ce que sa démarche dit d’une quête obsédante et tenace qui nous passionne. Quête (et reconquête) de l’image archaïque aussi bien qu’étymologique (l’imago ayant rapport à la mort et aux fantômes), travail du négatif aussi bien au sens philosophique (de Hegel à Lyotard) que psychanalytique (André Green) voire littéraire (Maurice Blanchot).
Psyché
Ad Reinhard, dans les années 1960, répétait les mêmes monochromes noirs en clamant (un peu trop fort et trop vite) la mort de la peinture. C’est à partir de ce point, de cette mort et du monochrome, que crée Jean-Luc Blanchet, dans un geste concomitamment négatif et créatif. Ses toiles sont aussi, dans toute la polysémie du terme, "psyché", miroir.
L’artiste présente d’ailleurs cinq miroirs noirs où se reflète parfaitement le visage du visiteur. Cinq miroirs comme les cinq sens dans lesquels l’image, avant de se faire signification et se constituer en objet et extériorité, n’est que sensation, subjectivité et relation. Il faudra ensuite s’en arracher, comme le fait encore très concrètement Blanchet en "arrachant" deux toiles collées l’une à l’autre, ou bien encore en accepter toute l’ambivalence et l’ambiguïté, comme dans L'Humanité, sa toile la plus puissante où parmi un fouillis de traits noirs, apparait un visage effrayé autant qu’effrayant.
Effacement (Jean-Luc Blanchet)
A la galerie Domi Nostrae jusqu'au dimanche 14 avril
pour aller plus loin
vous serez sans doute intéressé par...
Mardi 2 mai 2017 À l'occasion de l'ouverture récente du Musée Jean Couty, voisin de quelques mètres, l'Attrape-Couleurs réunit cinq artistes lyonnais qui, chacun, ont une (...)
Mardi 11 octobre 2016 Jean-Luc Blanchet présente de nouvelles œuvres à la galerie Domi Nostrae. Des "peintures fantômes" qui hantent et saisissent durablement le regard.
Mardi 13 septembre 2016 Parcourez ces chemins de traverse en suivant de sobres hashtags ; et découvrez des artistes singuliers, parfois exposés dans des lieux inattendus : un couvent, un théâtre ou un hôpital psychiatrique...
Jeudi 25 mars 2010 Expo / Jean-Luc Blanchet compose ses toiles en effaçant de la peinture. Et construit un univers sombre et sous tension, où les limites entre la vie et la mort, l'apparition et la disparition se brouillent...
Jean-Emmanuel Denave