Effets secondaires

Effets secondaires
De Steven Soderbergh (ÉU, 1h46) avec Rooney Mara, Jude Law...

Dans l’étourdissant sprint de sa prétendue fin de carrière, Steven Soderbergh marque le pas avec ce thriller psy qui ne retrouve que partiellement le charme de ses dernières réalisations, un peu écrasé par un script qui ne laisse que peu de place aux expérimentations de la mise en scène. Christophe Chabert

Pourquoi, depuis Contagion, le cas Soderbergh s’est-il remis à nous intéresser, au point d’en faire un des cinéastes majeurs de ces dernières années ? Pas seulement parce que le bougre, pas à un paradoxe près, tournait à une vitesse folle des films qui affichaient un appétit de cinéma dément, tout en clamant à qui voulait l’entendre qu’il allait mettre fin à sa carrière. Aussi parce que Soderbergh semblait avoir trouvé ce qu’il cherchait depuis longtemps : une remise systématique sur le métier de son rôle de metteur en scène, cherchant à chaque nouvelle œuvre une forme différente pour enrichir des scripts souvent maigres, répondant à des codes dont il prenait soin de s’écarter.

Du flux d’images mondialisées de Contagion au grand écart entre la chronique réaliste et le pur film chorégraphique de Magic Mike, en passant par les combats en temps réel et en plans larges de Piégée, c’était toujours par l’innovation que le cinéaste répondait aux matériaux très hétérogènes qu’il illustrait, se chargeant qui plus est du contrôle visuel complet de ses films (photo et montage inclus). À la fois libre et souverain, Soderbergh semblait, selon l’expression d’Alain Cavalier, «avoir récupéré son outil».

Libre d’être contraint

Effets secondaires, malgré la relative déception qu’il procure, ne vient pas démentir cette méthode : chaque plan traduit à la fois le goût du risque et l’envie de contrôle de son metteur en scène, et les acteurs, tous excellents, tirent de cette urgence d’inventer sur le plateau la forme du film une jouissance palpable. Jude Law notamment n’a jamais été aussi bon qu’ici, mais la prodigieuse Rooney Mara confirme aussi après ses débuts chez Fincher la puissance charnelle qu’elle peut apporter au cinéma américain.

Elle y incarne la femme d’un trader emprisonné pour délit d’initié ; une fois libéré, elle doit affronter une dépression carabinée qui la pousse à tenter un nouveau traitement prescrit par un médecin au passé un peu trouble (Law). Mais des effets indésirables se font sentir, notamment des crises de somnambulisme. Au cours de l’une d’entre elles, elle poignarde son mari et doit choisir une ligne de défense qui pourrait bien entacher la réputation du docteur.

Après la nonchalance dramaturgique de Magic Mike, Effets secondaires pousse au contraire la manipulation et les renversements scénaristiques jusqu’à leur acmé, en particulier dans la dernière partie du film, la plus faible, celle où d’un seul coup tout semble suspendu au prochain coup de théâtre — avant que l’ensemble ne rentre dans un ordre un peu trop moral. C’est bien dans la première heure que l’on sent Soderbergh le plus à son aise : optant pour une mise en scène qui isole chaque personnage dans un cadre souvent serré et sans profondeur de champ, il arrive à créer une sensation de claustrophobie et d’angoisse qui ne réside pas dans le récit, mais bien dans ce découpage maniaque de l’action.

Trompe-l’œil

Ces expérimentations, aussi plaisantes soient-elles à regarder, semblent pourtant ne jamais créer de sens à l’écran. C’est le défaut de Soderbergh : à vouloir offrir à chaque film une expérience plastique différente, il ne trouve pas forcément le bon dosage et tombe parfois dans un certain formalisme. À trop vouloir refuser l’illustration de son script, il donne l’impression d’une déconnexion entre les images et l’histoire qu’il raconte.

Mais peut-être en cela est-il aussi très malin : dans un film qui ne joue que sur les illusions, les faux-semblants et la comédie des apparences, Soderbergh a peut-être lui aussi choisi le trompe-l’œil. C’est ce que suggèrent ces nombreux inserts à la Cronenberg, qui donnent la sensation que quelque chose nous échappe, que nous ne regardons pas assez bien, ou pas au bon endroit. On ne saurait penser, du coup, que le cinéaste nous laisse ainsi sur ce petit goût d’inachevé ; on prend même le pari qu’après quelques mois sans toucher une caméra, l’envie d’y revenir n’en sera que plus forte.

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