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Le fils de l'épicière
Par Benjamin Mialot
Publié Jeudi 23 mai 2013 - 10280 lectures
Six ans après son arrivée à Feyzin, Sophie Boyer quitte ses fonctions de directrice de l’Épicerie Moderne. Dès la rentrée, c'est Damien Debard, son administrateur, qui prendra les commandes. Une entrevue bilatérale s'imposait, histoire de déterminer ce que ce passage de témoin va changer pour ce haut lieu des musiques indépendantes. Ou plutôt ce qu'il ne va pas changer. Propos recueillis par Benjamin Mialot
Les directeurs d'équipements ont tendance à s'accrocher à leur poste. Qu'est-ce qui te pousse à partir ?
Sophie Broyer : C'est d'abord une décision personnelle : après douze ans à travailler dans des salles de concert, j'ai envie d'apprendre de nouvelles choses. Mais mon départ découle aussi d'une réflexion liée à l'avenir de l’Épicerie Moderne. La salle a huit ans, je suis à sa tête depuis six, avec une équipe qui n'a pas tellement bougé... C'est un bon socle de travail, mais je crois que ce n'est un service à rendre à personne que de rester pour rester. Cela me semble même important de renouveler une direction tous les cinq-six ans, de redonner du dynamisme. La routine dans le milieu culturel, pour moi, c'est un interdit.
Que retiens-tu de ton passage ?
SB : J'ai l'impression de fonctionner au saut dans le vide. J'ai pris très tôt des responsabilités dans des salles où les choses n'étaient pas simples, notamment parce que je suis une femme. Concernant l’Épicerie Moderne, comme il s'agit de ma première direction, je porte forcément un regard bienveillant sur son équipe, qui était en place depuis deux ans à mon arrivée et avec laquelle ça a d'emblée collé sur le plan artistique, et son conseil d'administration, qui m'a fait confiance. J'ai eu surtout la chance d'être libre. Car si la mairie s'assure que le projet qu'elle finance avec de l'argent public soit accessible au plus grand nombre, elle met rarement le nez dans notre programmation. C'est un luxe.
Comment votre cahier des charges a-t-il évolué au fil des ans ?
SB : A l'origine, la salle était assez tournée vers la chanson. Hervé Mondon, le premier directeur, l'a ouverte au jazz et au blues, Damien à la noise... Je suis ensuite arrivée à une période un peu charnière, élections municipales obligent. La Ville a commencé à se dire qu'il fallait y diffuser des musiques plus populaires. Il y a eu des essais dans ce sens, avec Robert Charlebois, Enzo Enzo... Ça ne marchait pas du tout (rires). Parce qu'il faut avant tout qu'une salle ait une patte, surtout sur une agglomération où l'offre est déjà conséquente. Du coup, on a choisi de travailler l'accessibilité du lieu par le biais de la médiation, d'une programmation jeune public, de concerts en jardins... Le but du jeu, ce n'est pas que les gens se pressent sur un one shot, mais qu'ils reviennent dans la salle, et de rayonner sans vendre son âme.
Damien Debard : L'idée d'implantation territoriale a toujours été là. Peu importe le directeur, il y aura toujours ce fil conducteur. Au-delà, ce qui nous caractérise, c'est qu'on a toujours essayé de prendre le meilleur de chaque univers, de faire le grand écart. Entre le fait d'être une salle subventionnée – ce qui nous permet de pratiquer des prix abordables et de payer correctement les artistes - et celui d'avoir une ligne indé, entre les Nuits de Fourvière et Grrrnd Zero... On peut discuter avec l'un le matin et l'autre l'après-midi.
SB : On m'a souvent dit qu'il fallait faire des désavantages d'un lieu des forces. Notre position géographique nous a longtemps posé problème, mais elle nous force à bien peser nos choix.
Considérant cet éloignement géographique, vous avez le sentiment d'être isolés ou d'appartenir à un maillage ?
SB : Je suis partie en 1998 de Lyon. Sorti du Pezner, il ne se passait pas grand chose à l'époque. Quand je suis arrivée en Bretagne, j'ai très vite appris à travailler avec des gens qui ne devraient pas bosser ensemble (rires) : à Rennes, où j'ai intégré l'Antipode, il y a deux Scènes de Musiques Actuelles de même capacité, éloignées d'un kilomètre, une gérée par une MJC, l'autre par les Transmusicales... Du coup, quand je suis revenue à Lyon, il m'était évident qu'il fallait travailler en synergie. Par chance, mon retour a coïncidé avec des changements de direction au Transbordeur, au Clacson... Toute une jeune génération est arrivée à peu près au même moment, ça a facilité la mise en réseau. Aujourd'hui, il y a forcément un peu de concurrence, mais pas d'esprit de territoire. On est plus amoureux de la musique que de nos lieux.
DD : De l'extérieur – je viens de Blois, où j'ai longtemps organisé des concerts avant de m'investir dans Le Château d'Eau, la SMAC locale, et de finir par suivre son directeur, qui n'était autre qu'Hervé Mondon, à Feyzin, Lyon avait la réputation d'être une ville très active mais peu organisée. Aujourd'hui, ça manque encore de petits lieux et de laissez-faire, mais au moins il y a de a concertation.
Qu'est-ce que ce renouveau hiérarchique va changer pour la salle ?
DD : Hormis la décoration du bureau, pas grand chose (rires). La plupart des structures culturelles se confondent avec leur directeur. Nous ne fonctionnons pas de la même façon. Le projet a été travaillé dès le début de manière collective, par l'équipe comme par le conseil d'administration. Il n'y a donc pas de raisons que les choses changent, en tout cas à court terme. Quand bien même chacun a ses préférences musicales. Nous ne sommes pas là pour programmer ce qu'on aime, nous sommes là pour programmer des groupes intéressants pour le lieu. C'est un choix de continuité qui a été fait.
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