Lewis, un style pour chaque histoire

Lewis, un style pour chaque histoire
L'Atelier Mastodonte

Comédie Odéon

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Lewis Trondheim est l'invité du festival Lyon BD, dont la huitième édition célèbrera par ailleurs deux magazines ayant publié ses planches, à savoir "Spirou" et "Fluide Glacial". Plongée dans l'univers aussi fourmillant qu'atypique de cet auteur au fort tempérament.Benjamin Mialot

«Les journalistes savent que je ne les aime pas. [...] J'aimerais bien nettoyer l'univers de la bande dessinée des pseudo-journalistes qui n'y connaissent rien. Je crois que le temps des consensus mous est fini, pour la BD et pour le reste. Il faut nommer nos ennemis, aussi puissants soient-ils». Ces mots, rapportés par le quotidien 20 Minutes le 2 février 2006, furent parmi les premiers prononcés par Lewis Trondheim au lendemain de la remise, à son attention, d'un Grand Prix de la ville d'Angoulême, l'équivalent pour le neuvième art d'une Palme d'or cannoise, tant en termes de prestige que de potentiel polémique.

Plus tard, c'est l'inculture de ses pairs («Quand je vois que nombre de mes confrères ne connaissent pas la plupart [des auteurs éligibles à un Grand Prix], ni leurs travaux, ni ne veulent entendre parler d'un auteur japonais, j'ai honte !») et la multiplication des «sous-prix pour faire plaisir aux sponsors» qui lui fera claquer la porte de l'Académie des Grands Prix, chargée de désigner le récipiendaire annuel de la récompense.

Autant dire que dans le paysage d'ordinaire baigné d'huile de la bande dessinée, ce quinqua montpelliérain fait figure de forte tête. Et c'est précisément cette fermeté et la façon dont elle s'exprime sous sa mine depuis plus de vingt ans qui font de lui l'invité le plus passionnant de la huitième édition du festival Lyon BD.

Menu déroutant

Rien ne prédestinait pourtant ce fils de libraires à vivre du dessin. Sa jeunesse, Laurent Chabosy, de son nom de baptême, l'a passée de son propre aveu à s'ennuyer et à ne rien faire, avant de débuter bon an mal an une carrière dans la publicité. Le déclic va venir de sa rencontre avec un certain Jean-Christophe Menu, en 1987. Aucun des deux ne sait alors dessiner, au sens académique du terme. La différence, c'est que Menu n'en a rien à cirer. Mieux : il revendique depuis quelques années déjà son iconoclasme graphique, pourfendant à longueur de fanzines l'uniformité de la production de l'époque tout en rêvant de s'incruster dans les pages de Spirou.

A son contact, Trondheim comprend qu'il peut raconter des histoires sans passer par la case "apprentissage" et sans rentrer dans celles imposées par les éditeurs. Armé d'une photocopieuse, il produit sa propre feuille de choux, Approximate Continuum Comics Institute H3319, dans laquelle il expérimente à tout va, passant d'un récit de science-fiction muet à la Moëbius à un strip itératif – procédé consistant à reproduire une vignette à l'identique, hors dialogue - évoquant Charles M. Schulz. Au fil des numéros se dévoile ce qui fera la force de son œuvre, de son sens inné de l'absurde – que l'on pourra apprécier dans le cadre d'une «conférence idiote» sur Tintin - à sa lucidité psychanalytique en passant par sa soif de perfectionnement.

Association de bienfaiteurs

En 1990, Menu, Trondheim et quelques autres fondent l'un des plus importants laboratoires visuels de la fin du XXe siècle : L'Association, une maison d'édition collégiale, inféodée aux formats courants et mue par un goût du défi hérité de L'OUvroir de LIttérature POtentielle de Raymond Queneau – un Ouvroir de bande dessinée potentielle voit d'ailleurs rapidement le jour. Marjane Satrapi y publiera son Persepolis, Joann Sfar ses premières planches, Guy Delisle ses premiers récits de voyage... Ainsi naît la "Nouvelle Bande Dessinée", en référence à la Nouvelle Vague, courant dont l'artificialité n'a d'égale que l'influence.

Trondheim en devient rapidement la figure de proue, avec Lapinot et les carottes de Patagonie, un pavé de cinq cents pages en noir et blanc, improvisé et non relu, dans lequel on suit un léporidé naïf en quête de carottes conférant la capacité de voler. Tout Trondheim est dans ce monument de fantaisie et de radicalité, ne serait-ce que parce qu'il y adopte définitivement le zoomorphisme – attribution de caractéristiques animales à des humains, procédé dont il s'est épris à la lecture des travaux de Carl Barks et Floyd Gottfredson, les deux plus importants architectes du royaume Disney, et qu'il va par la suite hisser vers d'inédits sommets d'expressivité et de ludisme.

Mastodonte écrase les strips

Mais la principale qualité de Trondheim, c'est de n'avoir jamais perdu de vue sa prime envie d'être un raconteur, au contraire de Menu, resté accroché à son dogmatisme comme un despote à son trône, ou d'un Sfar, rapidement atteint d'une boulimie médiatique incapacitante. D'avoir laissé son intransigeance – avec les autres et surtout avec lui-même – au service de ses histoires. Résultat, en solo ou en mettant son imagination au service d'autres dessinateurs (Sfar, Larcenet, Bonhomme...), Trondheim a tout réinventé : la fable animalière donc (Les Formidables aventures de Lapinot, "suite" de), l'heroic fantasy (d'abord avec la tentaculaire série des Donjon, maintenant avec Ralph Azam), la SF (Les Cosmonautes du futur), le western (Texas Cowboys), l'autobiographie (Approximativement, Les Petits riens), la BD jeunesse (Monstrueux...) et même l'édition (en dirigeant la collection Shampoing chez Delcourt).

Jusqu'à réaliser le rêve de son ami en intégrant la rédaction de Spirou où, à la tête de l'Atelier Mastodonte - collectif racontant à quatorze mains et avec beaucoup de dérision l'envers de la création bédéique, à découvrir sur la scène de la Comédie-Odéon, il démontre semaine après semaine que «la BD est un chouette médium pour raconter plein de choses avec plein de tonalités différentes».

Mastodonte sur scène
A la Comédie-Odéon, samedi 15 juin

Le Dernier message d'Hergé
Au Palais du commerce, dimanche 16 juin

à lire aussi

vous serez sans doute intéressé par...

Mardi 12 avril 2022 ADOS est une association qui prône des valeurs d’inclusion et d’égalité des chances. Un lieu ressource à destination des jeunes collégiens, lycéens et de leur famille. Objectif : les accompagner au mieux dans leur scolarité.
Mardi 11 octobre 2016 Lewis Trondheim et Brigitte Findakly content l'enfance de cette dernière dans Coquelicots d'Irak, tout juste paru chez L'Association.
Mercredi 1 juin 2016 Pendant que l’immense machine angoumoisine se prend bide sur bide, au grand dam des auteurs et du public, Lyon BD Festival continue de se muscler. Une décennie seulement après sa création, l’incontournable rendez-vous lyonnais est devenu plus fécond...
Mardi 10 juin 2014 Lyon BD se double d'une convention 100% comics. Une initiative qui, si elle relève pour l'instant plus du gage de bonne volonté que de l'événement per se, l'impose un peu plus comme un rendez-vous majeur. Benjamin Mialot
Mardi 3 juin 2014 Son emblème est un moustique, mais c'est à un travail de fourmi que se livre Michel Jans depuis plus de vingt ans. Professeur d'allemand à la retraite, il (...)
Jeudi 6 juin 2013 L'essor du numérique, le neuvième art n'y coupe pas. Au contraire, les créateurs et éditeurs de bulles furent parmi les premiers à explorer cette éternelle terra (...)
Jeudi 6 juin 2013 De la première bouffée de cigarette au dépucelage, l'adolescence est parsemée de rites de passage délicats. Le plus embarrassant de tous a toutefois longtemps (...)
Mercredi 5 juin 2013 Le 21 avril 1938 paraissait le premier numéro de Spirou, magazine jeunesse pensé comme un contrepoint moral des comics américains. Soixante-quinze ans plus tard, l'idéal de son fondateur, Jean Dupuis, n'est qu'un lointain souvenir. Son héritage en...
Jeudi 20 septembre 2012 Imaginez. Profitant de la traditionnelle opération «Gros volumes» de votre hypermarché favori, vous avez fait l'acquisition d'assez de gel douche pour (...)
Vendredi 8 juin 2012 Souvenez-vous, c'était en 1992. Tout juste auréolé d'un run de quatre ans sur Jeopardy! et du lancement en fanfare du tirage télévisé du Millionnaire, Philippe (...)
Jeudi 29 mars 2012 Imaginez. Nous ne sommes pas en 2012, mais en 1974. Le Comoedia, votre cinéma fétiche, est encore loin d'avoir la taille et le standing qui sont les siens (...)

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X