Lundi 28 septembre 2020 Cinq rendez-vous chorégraphiques à ne pas rater ces prochains mois… De la rétrospective concoctée en images de et par Jérôme Bel au spectacle limite de Sciarroni, en passant par les fantasmagories de Peeping Tom.
Avignon - Jout 6 - Gloire au spectacle vivant !
Par Benjamin Mialot
Publié Vendredi 19 juillet 2013 - 3012 lectures
"Cour d’honneur" et "Place du marché 76"
On écrit souvent tout le bien que l’on pense du travail de Jérôme Bel, chorégraphe atypique de la scène française, adepte notamment d’une forme proche du spectacle-documentaire. Au fil des ans, l'instigateur du hit The Show Must Go On a ainsi construit diverses créations pensées autour de la figure d’un danseur – Véronique Doisneau du Ballet de l’Opéra de Paris, Cédric Andrieux de la compagnie Merce Cunningham... Un danseur qui donne son nom au spectacle et qui, sur scène, évoque sa vie tant personnelle que professionnelle, notamment en rejouant des extraits des pièces auxquelles il a participé – ce qui permet à Jérôme Bel d’affirmer crânement n’avoir jamais écrit un seul pas de danse.
Suivant toujours cette logique et désirant imaginer un spectacle sur «la mémoire d’un lieu, d’un théâtre», Jérôme Bel a conçu Cour d’honneur : oui, car quel plus beau théâtre que la Cour d’honneur du Palais des papes, place centrale et majestueuse de l’incontournable Festival d’Avignon ? Pour évoquer cette mémoire, après plusieurs pistes de réflexion (il voulait d’abord interroger tous ceux qui travaillent dans le lieu), Bel a fait appel aux spectateurs eux-mêmes, en les plaçant directement sur le plateau. C’est eux que l’on a découverts mercredi 17 juillet, devant cet imposant mur du palais. Eux qui ont évoqué leurs souvenirs de spectateurs de cette cour d’honneur, avec humour, émotion, recul, passion, incompréhension... Le jeune de 28 ans et son rapport compliqué au théâtre, la prof à la retraite et son amour pour Antigone, la trentenaire et sa réflexion sur la sociologie du public de théâtre...
Ce qui aurait pu s’apparenter à une compilation de témoignages devient rapidement une déclaration d'amour vibrante au spectacle vivant, Bel ayant ce don pour extraire le sucre des matériaux qu’on lui offre. Surtout, le chorégraphe a eu la judicieuse idée de convoquer physiquement certains souvenirs des spectateurs via les interprètes originaux qui refont alors la scène en question : Agnès Sourdillon redevient l’héroïne de L’École des femmes de Molière (mise en scène Didier Bezace) pendant 5 minutes, Isabelle Huppert (par Skype) revit le drame de Médée transposé par Jacques Lassalle... Voilà pour les plus attendus, d’autres moments étant encore plus surprenants – mention spéciale au spectacle Casimir et Caroline façon Johan Simons et Paul Koek et à la polémique qui en résulta l’année de sa création.
Pendant deux heures, avec humilité et distance, un fascinant ballet d’émotions se met en place, embarquant initiés comme néophytes – car on peut n’avoir vu peu voire aucun des spectacles évoqués et se prendre tout de même au jeu. Avec ce Cour d’honneur, Jérôme Bel livre alors l’un des plus beaux spectacles sur le théâtre (et la danse), sans prétention et avec une générosité extrême. Pour info, France 2 diffusera le vendredi 19 juillet en soirée une captation en direct du festival de cette création qui, forcément, ne tournera pas après le festival. En espérant que le filtre de la vidéo n’amoindrisse pas l’intensité de l’aventure.
Plus moche la vie
Deux mots pour finir sur un autre artiste que nous aimons tout particulièrement au Petit Bulletin : Jan Lauwers, metteur en scène qui avait livré en 2004 à Avignon l’intense Chambre d’Isabella, l’un des plus grands spectacles de ces dernières années. Il revenait à Avignon avec Place du marché 76, fresque jouée et chantée comme un prolongement à sa trilogie Sad Face / Happy Face (qui débutait donc par La Chambre d’Isabella). Une création noire dans son propos (la mort, la pédophilie...) que Lauwers a sans doute écrite sur un coin de table, avec le petit manuel des sitcoms pas loin (pour les rebondissements en pagaille). Car ce qui fonctionnait à merveille avec Isabella (le côté mélodramatique notamment, mais avec distance), et déjà un peu moins bien dans les deux autres volets (Le Bazar du homard et La Maison des cerfs), ne prend jamais ici, malgré un travail précis sur la musique.
Pour les aficionados et ceux désireux d’approcher tout de même l’univers fascinant de Lauwers : ce Place du marché 76 sera joué les 10 et 11 septembre à Genève (la date géographiquement la plus proche de la région).
Aurélien Martinez
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