Classique chic

Le cinéma de patrimoine, par-delà le festival Lumière, va-t-il devenir le prochain enjeu de l’exploitation lyonnaise ? En attendant d’aller voir de plus près ce qui se passe en la matière, revue des classiques à l’affiche dans les mois à venir et focus sur l’intégrale Desplechin proposée au Cinéma Lumière en septembre. Christophe Chabert

Le succès du festival Lumière aurait-il aiguisé les appétits ? Toujours est-il qu’il semble désormais certain que l’exploitation lyonnaise, saturée de multiplexes et peinant à trouver une solution à ce qu’il faut bien appeler le "blocage Moravioff", qui laisse les CNP dans une situation de précarité extrême, empêchant ainsi une exploitation décente pour l’ensemble du cinéma d’art et essai, regarde de près ce qui se passe sur le terrain du cinéma de patrimoine. UGC Ciné Cité Confluence et le Comoedia ont développé tout l’été une politique de programmation de classiques — parfois incongrus du côté de chez UGC, comme Trois femmes de Robert Altman — et Plein soleil a eu droit à une exposition sur les écrans comme on n’en avait pas vu depuis longtemps pour un film tourné il y a près de soixante ans !

L’Institut Lumière et Thierry Frémaux n’ont jamais caché leur envie de donner un petit frère à leur cinéma Lumière de la rue du Premier film, d’autres circuits semblent regarder de près l’évolution de ce nouveau marché. Qui aurait parié que le patrimoine cinématographique allait devenir à la mode ? L’engouement pour les versions restaurées de La Grande illusion ou de La Porte du Paradis ont prouvé qu’il y avait en tout cas une attente réelle du côté du public — fut-elle exceptionnelle et liée à des films vraiment mythiques.

Esprit de collection

Pionnier en la matière, le GRAC, qui regroupe un réseau de salles indépendantes, à Lyon et dans sa (très grande) périphérie, a développé ainsi un cycle baptisé Ciné-Collection : un film chaque mois qui voyage d’un écran à l’autre, tiré du répertoire et généralement très recommandable. La saison débute avec… Plein soleil, qu’on ne présente plus car on l’a déjà longuement présenté. Elle se poursuivra avec une rareté, sans doute un des meilleurs films espagnols tournés durant la période franquiste : Mort d’un cycliste de Juan Antonio Bardem, qui ressemble à du Chabrol filmé par Orson Welles, brassant avec dextérité intrigue policière, mélodrame et critique sociale. Très éclectique, la Ciné-Collection enchaînera ensuite avec l’inestimable Voyage à Tokyo de Ozu, bouleversante évocation du dernier âge de la vie, puis Docteur Jerry et Mister Love, le film le plus célèbre de Jerry Lewis où il s’offre une variation burlesque autour de Jekyll et Hyde. Enfin, inratable parmi les inratables, la version restaurée de Voyage au bout de l’enfer de Cimino conclura cette première moitié de saison. Que dire sinon que ce film-là tirerait des larmes même au plus insensible des spectateurs et que sa construction audacieuse, son évocation du trauma vietnamien et sa mise en scène à la fois ample et toujours à hauteur d’hommes en font un monument du cinéma américain ?

Des monuments, il y en aura aussi du côté du cinéma Lumière, avec cinq Hitchcock en copies neuves, qui vont de l’incontournable Vertigo au roué L’Homme qui en savait trop, dans ses deux versions, l’Anglaise de 1934 et l’Américaine de 1956 — comme quoi, non seulement on a toujours remaké à Hollywood, mais à une époque, c’était les cinéastes eux-mêmes qui refaisaient leurs films ! En plus du sidérant Désert des tartares et de l’intimidante Fille de Ryan de David Lean, tous deux déjà évoqués dans nos colonnes, Lumière proposera la copie restaurée de L’Arnaqueur de Robert Rossen, avec Paul Newman dans le rôle de Fast Eddie, vrai pro du billard se faisant passer, à ses risques et périls, pour un débutant afin d’entuber les joueurs alentour. Newman reprendra le rôle des années plus tard sous la direction de Martin Scorsese pour le mineur mais plaisant La Couleur de l’argent — comme quoi, les suites ne datent pas d’hier à Hollywood mais, à une époque, les plus grands cinéastes les réalisaient.

Un mois avec Desplechin

Le vrai gros morceau de la rentrée, c’est l’intégrale Arnaud Desplechin durant tout le mois de septembre au Cinéma Lumière. Alors que sort son très beau Jimmy P. le 11 septembre (et qu’il viendra le présenter en avant-première à Lumière le dimanche 8), un film où il a choisi de s’aventurer vers de nouveaux horizons (géographiques et historiques, puisqu’il se déroule dans l’Amérique des années 50, mais aussi esthétiques, le film assumant un classicisme inattendu et presque eastwoodien), il faut revenir sur ce qui a fait le style Desplechin, parfois moqué, mais souvent imité aussi.

De La Sentinelle, étonnant film d’espionnage métaphysique, jusqu’à Un conte de Noël, où il regarde les nœuds familiaux comme des cellules malades d’un grand corps bien vivant, c’est toujours un jeu entre l’esprit et la chair, entre la pensée et l’action, que son cinéma met en scène.

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