Vidéo-clubs : les derniers des Mohicans

En pleine explosion dans les années 80, incontournables dans les années 90, les vidéo clubs ont connu un lent déclin dans les années 2000. À Lyon, certains résistent, d’autres se résignent, d’autres s’adaptent. Christophe Chabert

Alors que le festival Lumière s’apprête à remettre son prix à Quentin Tarantino, il n’est pas inutile de rappeler la légende qui entoure ses jeunes années : employé dans un vidéo club, il y a ingurgité tout ce qui allait constituer sa cinéphilie délirante, avant d’alimenter son cinéma jusqu’à la transformer en philosophie personnelle et en discours politique. Un autre cinéaste a immortalisé le vidéo-club comme lieu alternatif, à la fois commerce de proximité et temple d’une érudition débridée et sans chapelle : Kevin Smith, dont le premier film Clerks se déroulait à moitié dans un vidéo club tenu par un gérant débonnaire et volontiers critique envers ses clients.

Dans les années 80, époque glorieuse de la VHS et du magnétoscope dans tous les foyers, les vidéo clubs explosent partout en France ; dans les années 90, ils s’installent pépère dans le paysage, certaines chaînes devenant même des acteurs majeurs du secteur, proposant bornes automatiques et forfaits imbattables. L’apparition du DVD au tournant du siècle aurait dû logiquement donner un coup d’accélérateur au secteur ; mais ce sont plutôt les coups de massue du peer to peer, de la baisse du prix de vente moyen du DVD et de l’apparition de la VOD (Vidéo à la demande) qui ont peu à peu fragilisé le vidéo club, l’obligeant à s’adapter ou à disparaître.

«Du psychologique et du social»

À Lyon, il n’y en a plus qu’une poignée qui cherchent des solutions à une crise dont l’issue paraît assez sombre. Vidéo Futur, dont la dernière enseigne se situe au 95 grande rue de la Guillotière, propose maintenant une box regroupant chaînes de télé, VOD en illimité et un catalogue de titres récents ou anciens à 2, 99€ le film. Une manière de prendre acte de la dématérialisation galopante, en conservant toutefois un rapport physique avec l’abonné.

À l’inverse, du côté d’Atmosphères Vidéo et ses deux enseignes (une rue de Marseille dans le 7e, l’autre rue Dumont à la Croix-Rousse), on cultive l’esprit originel du vidéo club à l’ancienne, avec 17 000 titres disponibles, en VHS, DVD et Blu-Ray, parmi lesquels on trouve, en plus des nouveautés incontournables, des raretés, des classiques et pas de porno, chose rare dans le secteur.

«Quand on a ouvert il y a douze ans avec mon mari, explique Cécile, on nous a ri au nez. Mais on s’est toujours vu différent des autres, et je savais déjà où on en serait dix douze ans plus tard, je savais qu’on serait dans les derniers. Aujourd’hui, la quantité nous protège, mais aussi notre réputation.»

Cécile a toujours été passionnée par le cinéma, en salles comme en vidéo, et a rencontré son mari dans un vidéo-club.

«J’ai été à l’école rue du Premier film, j’ai découvert l'Institut Lumière quand ce n’était qu’un musée de quartier… D’ailleurs, on sera à la Bourse cinéma du festival Lumière les 19 et 20 octobre».

L’idée est de miser sur la proximité avec les clients, de faire un travail qui relève «du psychologique ou du social. Par exemple, récemment, une fille est venue et m’a demandé : mon chat est mort hier, quel film je peux voir ce soir pour me changer les idées ?».

«Une philosophie de vie»

Dans le 1er arrondissement, à côté de la Place Sathonay, Vertigo Vidéo est une petite institution. Un de ses deux propriétaires actuels, Benjamin, explique que lorsqu’il a découvert le lieu en tant que client en 98, il s’appelait encore Rameau Vidéo.

«C’était encore plus une grotte qu’aujourd’hui. On ne voyait pas l’escalier, masqué par un énorme présentoir plein de VHS qui tenaient avec des bandes velcro ; du coup, elles se cassaient tout le temps la gueule…»

Après y avoir été embauché en 2001, il reprend le vidéo-club, qui rouvre à l’été 2002 sous le nom de Vertigo.

«On a récupéré le stock de cassettes, environ mille titres mais sans réelle cohérence, avec un pôle auteur et un pôle n’importe quoi. On a opéré une sélection qu’on a complétée comme on pouvait, car la filière légale n’était pas terrible.»

En d’autres termes, c’est avec des méthodes de pirates que se constitue le fond de Vertigo, slalomant entre offre des centrales d’achats, contraintes de budget et débrouille.

«Sur certains titres, les éditeurs ne voulaient pas faire de location, car pour eux, c’était l’ennemi de la vente. On les a pris quand même…»

Vertigo, comme Atsmosphères, représente ainsi l’équivalent pour les vidéo-clubs des salles de quartier ; c’est autant une philosophie de vie qu’un business, comme l’explique Benjamin :

«Il faut marcher cinq minutes, venir écouter une chanson — pendant que nous parlons, Marquee Moon de Television tourne sur la platine CD, NdlR — discuter du dernier film qu’on a vu, boire une tasse de thé…»

Mais après onze ans de bons et loyaux services, Vertigo va baisser son rideau fin 2013.

«J’adore le lieu, j’adore le quartier, j’adore discuter avec les clients, j’adore voir des films, mais il y a un moment où tu te dis que tu as fait le tour de la question.»

Une page se tourne sans doute, mais Cécile chez Atmosphères reste à la fois lucide et optimiste sur l’avenir de son métier. Pour finir, elle nous précise comme pour rétablir la réalité et écorner la légende :

«Tarantino ne bossait pas vraiment dans un vidéo club, il gérait le fonds d’une école de cinéma».

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