Metteur en scène majeur du théâtre français de ces quarante dernières années et figure marquante du TNP, Patrice Chéreau s'est éteint ce lundi à 68 ans des suites d'un cancer du poumon. Retour - forcément trop bref - sur la carrière et l'œuvre de cet artiste complet. Nadja Pobel
Il est des petits trésors qu'on reçoit en héritage, comme un ticket de théâtre rose foncé. Un ticket de Massacre à Paris, qui fait l'ouverture en 1972 du TNP décentralisé à Villeurbanne. Quelques mois plus tôt, Jacques Duhamel, ministre des Affaires Culturelles, a donné cette fameuse appellation à un théâtre de province, le Théâtre de la Cité, bien loin de Chaillot, où il est né. La direction en est confiée à Roger Planchon, déjà dans les murs, qui décide de la partager avec Robert Gilbert et Patrice Chéreau. Ce dernier a alors 28 ans. Il monte cette tragédie sur les jeux de pouvoir de Christophe Marlowe. Sur scène : de la démesure avec de l'eau, un mur taché d'humidité et des tours immenses et expressionnistes imaginées par le fameux scénographe Richard Peduzzi, avec qui Chéreau avait déjà collaboré sur de nombreuses pièces (l'Italiana in Algeri, Richard II...) et avec qui il entretiendra une longue fidelité artistique. Durant l'élaboration de ce spectacle, il note pour lui-même, le 15 février 1972 : «être libre dans le travail, c'est-à-dire faire d'abord une vraie distribution». Car Patrice Chéreau est un formidable directeur d'acteur. D'Isabelle Sadoyan dans Massacre à Paris à Pascal Gréggory (pilier professionnel et personnel de son parcours) et Valeria Bruni-Tesdeschi, qu'il avait récemment encore dirigés, lorsqu'il fut le premier artiste invité à créer au Louvre en 2010, il n'a eu de cesse de mettre le comédien au centre du jeu. Il a rendu Dominique Blanc émouvante à se damner dans le texte bouleversant de Marguerite Duras, La Douleur. Il a transformé aussi Romain Duris en un surprenant très grand acteur de théâtre dans La Nuit juste avant les forêts.
Ceux qui l'aiment...
Né en 1944 dans le Maine-et-Loir, il aura exercé de nombreux métiers (acteur, réalisateur, directeur de théâtre aux Amandiers de Nanterre notamment, scénariste) mais il aura toujours et avant tout été un metteur en scène de théâtre -et d'opéra-, faisant découvrir très tôt en France l'œuvre de Bernard-Marie Koltès. Comme Strehler, il aime mettre à nu la machinerie théâtrale et tout monter. Ces dernières années, il était allé vers plus de dépouillement comme dans la belle adaptation de Jon Fosse passée par les Nuits de Fourvière 2011, I Am the Wind.
Chéreau arrive dans le milieu du cinéma en 1975 lorsqu'il réalise La Chair de l'orchidée. Point d'orgue de cette filmographie, La Reine Margot avec l'un de plus beaux rôles d'Isabelle Adjani, suivi du succès de Ceux qui m'aiment prendront le train. Suivront Intimité, Son frère, le splendide Gabrielle et récemment l'inégal Persécution. Il travaillait ces derniers temps sur la mise en scène de Comme il vous plaira de William Shakespeare avec Gérard Desarthe et Clotilde Hesme, programmé à l'Odéon en mars prochain.