Qu'un frère dominicain (Marc Chauveau, responsable des expositions au Couvent de la Tourette) ressuscite un couple d'artistes contemporains, on ne verra là que logique. Anne et Patrick Poirier ont en effet connu leur heure de gloire dans les années 1970 (expositions à Beaubourg, à Kassel, au MOMA de New York...) et ont été, depuis, un peu oubliés. Se définissant eux-mêmes comme architectes ou archéologues autant que plasticiens, ils explorent dans leurs œuvres la fragilité de l'existence humaine, de la mémoire, de l'histoire... Et usent d'autant de mediums différents que l'exige le questionnement qu'ils déploient dans leurs travaux.
Sensibles au couvent conçu par Le Corbusier, à la «peau des murs» et aux jeux de lumière, ils y présentent notamment d'émouvants bas-reliefs en papier Japon, empreintes fragiles des aspérités du béton et des menus accidents parsemant les cloisons. Ils y déploient aussi une très grande maquette d'une utopie nommée Amnesia, «sorte de grand bunker construit dans un immense désert, entouré de ruines... Sorte de phallanstère ou de communauté idéale du savoir». Sur le même thème, l'une de leurs œuvres les plus fortes se compose tout simplement de plusieurs miroirs disposés en polygone et gravés de mots. Le visiteur semble, au sein de cette installation, se démultiplier et comme flotter parmi des signifiants en suspension. Instant poignant, qui dit notamment que nos multiples identités sont tissées autant d'imaginaire que de texte. Au début étaient le verbe et l'image, donc.
Jean-Emmanuel Denave
Anne et Patrick Poirier, Au Couvent de la Tourette, Eveux, jusqu'au dimanche 1er décembre