Lumière 2013, jour 5. Adieux

Le Vent se lève, il faut tenter de vivre d’Hayao Miyazaki. The Outfit de John Flynn.

Fatigue + rhume = programme allégé, comme on disait hier. Deux films seulement pour ce cinquième et avant-dernier jour, mais un très gros morceau au programme, le dernier Miyazaki, présenté en avant-première pour le 25e anniversaire des studios Ghibli qui, en fait, n’en ont que 23, comme l’a expliqué en ouverture le directeur de Disney France… Le festival aura tenté de faire venir le maître sans succès, se contentant de la première française du film.

Avant d’y revenir, parlons un peu de John Flynn, à qui le festival consacrait un double programme avec The Outfit et Rolling thunder. On avait découvert le second lors de Lumière 2010, et on avait été impressionné par sa sécheresse, ses explosions de violence, et son propos audacieux sur l’impossible réinsertion des anciens du Vietnam, dans la lignée de Taxi Driver. Ce qui n’est pas un hasard puisque les deux films ont un scénariste commun, l’inégal Paul Schrader, ici sur le territoire qui lui réussit le mieux : celui de l’exploration des failles de l’Amérique, adoptant le regard du candide qui, peu à peu, découvre l’injustice et décide d’y répondre les armes à la main.

The Outfit, tourné quelques années avant, est une bonne petite série noire tirée de Richard Stark (comme Mise à sac de Cavalier dont on parlait hier, mais qui a autrement plus d’ambition), avec Robert Duvall dans le rôle du cambrioleur Parker, rebaptisé Macklin. Le style Flynn fait la différence avec l’ordinaire du cinéma d’exploitation de l’époque : un vrai parti pris badass, dans la caractérisation des personnages, tous imperturbables et sévèrement burnés, comme dans les dialogues, particulièrement salés — on retiendra celui-là : «Tu peux aller te coucher, mais surtout, tu fermes ta gueule».

Flynn paraît très à l’aise avec son récit, qui avance avec vitesse et fermeté, ponctué d’éclairs de violence — pour le coup, le final en forme de massacre est antérieur à celui de Taxi Driver, ce qui dit bien à quel point Flynn avait flairé quelque chose de l’air du temps. On sent l’héritage de quelques maîtres comme Peckinpah et surtout Siegel, avec notamment cette musique funky — une BO qui doit faire la joie des cratediggers de vinyles groovy — qui prépare en général l’arrivée de l’action, rappelant celles de Schiffrin pour le premier Dirty Harry.

Cela étant, il ne faudrait pas non plus surévaluer le film et son cinéaste, et c’est parfois la limite du festival Lumière : dans son grand pêle-mêle de redécouvertes, il y a d’authentiques merveilles — Pain et chocolat, top absolu de cette édition — et des petites choses qui méritent surtout d’être visionnées chez soi, peinard, en DVD ou en Blu-Ray. Ce que le festival a malencontreusement souligné en diffusant ladite copie Blu-Ray de The Outfit, plutôt pas mal au demeurant mais quand même pas au niveau d’une vraie copie HD — elle sera bientôt disponible chez l’excellent éditeur Wild Side.

Miyazaki, donc. Avec Le Vent se lève, il faut tenter de vivre, le cinéaste a annoncé qu’il terminait sa carrière. Ce n’est pas la première fois qu’il le dit, mais la vision du film laisse penser que, cette fois, c’est la bonne. En effet, cette œuvre souvent sublime ressemble à un autoportrait masqué en créateur passionné qui oublie la vie et le monde pour se consacrer entièrement à son art. Tout est dit dans la citation de Paul Valéry qui lui sert de titre : «le vent se lève», c’est le temps qui passe, et même si la vie paraît lointaine, cruelle, hostile, il faut s’y adonner, pour ne pas avoir de regrets, «il faut tenter de vivre».

Miyazaki raconte l’histoire (vraie) de Jiro, qui rêve dès son adolescence de voler, et qui va consacrer ensuite la première partie de son existence à imaginer le premier avion made in Japan. Nous sommes en 1932, et c’est l’Allemagne qui tient la dragée haute au reste du monde en matière d’aéronautique ; Jiro va donc se rendre là-bas pour étudier les modèles, mais il arrivera à la conclusion que ce n’est pas en imitant les autres que l’on innove, mais en créant à partir de ses propres intuitions.

C’est la première ligne du récit, passionnante à défaut d’être émouvante. La seconde prend sa source dans un tremblement de terre spectaculairement mis en scène à l’écran. La terre et les arbres se soulèvent, entraînant avec eux trains et maisons. Dans un geste altruiste et héroïque, Jiro sauve une jeune fille, sa sœur et sa mère. Cette jeune fille, il la retrouvera dans un chalet à la montagne où il s’est réfugié pour trouver des solutions à ses problèmes d’ingénierie. Elle s’y est rendue avec son père pour soigner une tuberculose, maladie qui a fini par emporter sa mère. L’amour entre eux va naître au cours de quelques séquences absolument merveilleuses, où le film prend définitivement son envol. Inoubliable par exemple, cette scène du balcon qui n’a rien à envier à celles de Shakespeare ou de Rostand, où les deux jeunes gens communiquent grâce à un avion en papier… Miyazaki installe alors une légèreté magnifique et gracieuse, même si l’inquiétude n’est jamais très loin — un Allemand mystérieux le résume en citant tout ce que les gens ne veulent pas voir du drame qui se profile à l’échelle mondiale.

La dernière partie vient nouer ensemble ces deux fils, et propulser Le vent se lève… vers des hauteurs jamais atteintes par Miyazaki auparavant. Jiro, replié sur la concrétisation de son rêve, ne voit pas qu’il participe à un double désastre, intime et universel : il pense fabriquer des avions qui ouvriront de nouveaux horizons à l’homme, mais il ne fait que créer des machines de destruction qui serviront à l’anéantir ; et plus il s’approche de son but, moins il voit que sa bien-aimée s’apprête à le quitter.

Impossible, donc, de ne pas lire à travers cette fable une confession très personnelle de Miyazaki sur son propre travail. Encore qu’il faut bien la lire dans son intégralité. Dans ses rêves, Jiro se retrouve face au fantôme de son maître italien, et celui-ci lui dit que l’homme possède dix ans de créativité pure, qu’il doit mettre à profit pour s’accomplir. A la fin, il lui demande ce qu’il a fait de cette période créatrice ; or, Jiro ne regrette rien, car il a mine de rien achevé son œuvre. Certes, il a tout perdu et autour de lui, il n’y a plus que ruines et cendres. Mais voilà, «il faut tenter de vivre», et même si tout doit disparaître, lui est bien là, parmi les vivants.

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