"Mendelson" : l'immélodie du malheur

Mendelson

La Bobine

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Sur Tout refaire, tiré de l’album Seuls au Sommet, Pascal Bouaziz chantait il y a 10 ans : « Le noir c’est plus gai / Le noir c’est plus joli / Le noir empêche de voir le monde / Le monde que la lumière salit. » Cela ferait de Mendelson le plus « joli » des albums, car des trois disques qui le composent – le deuxième comptant un seul titre Les Heures, d’une durée record de 54 minutes – coule l’encre noire du côté obscur de l’existence humaine.

Dès le premier titre, La Force quotidienne du Mal nous étreint, et le groupe, pourtant connu pour son intransigeance, nous emmène toujours plus loin, dans un voyage au cœur des ténèbres. À ceci près qu’ici les ténèbres n’empêchent aucunement de voir le monde, mais projettent sur lui un soleil noir qui le révèle pour ce qu’il est, nous ramènent à ce que nous sommes : « des petits êtres qui courent » comme le chantait Bashung sous la plume de Manset. Rien de plus.

Loin de "tout refaire", Bouaziz et Mendelson, obsédés par l’idée de ne pas se répéter, ont tout défait, tout cassé : les formats, les genres, la notion même de chanson dont il ne reste que l’échafaudage vacillant. Ils ont brûlé la terre pour fouler la cendre d’un prodigieux post-rock littéraire, quadrature du cercle d'un groupe qui semble arrivé au bout de La Route. Et comme du roman de McCarthy, on aimerait pouvoir dire aussi que Mendelson est post-apocalyptique – c’est l’effet qui en ressort. Mais il n’est que l’émétique car étouffant thésaurus d’un présent bien réel qu’on vit mais qu’on ne saurait voir – entre cauchemar social vrombissant (celui, terrible, de Ville Nouvelle), résignation antalgique (Il n'y a pas d'autre rêve, le "tube" de l'album) et exorcisme trompe-la-mort (Le Jour où) – et qu'il faudrait dire pour mieux respirer.

Dans Par chez nous, jadis : « Il y a des choses qu’on peut dire, comme ça, et d’autres, quand même… on voudrait pas mentir. » Et Bouaziz, donc, de réinventer une manière de dire ces Choses « péréciennes » : comme décuplée, sa propension au vertige textuel – entrevue il y a 7 ans avec l'amère madeleine 1983 (Barbara) – aspire comme un trou noir, jette des pavés dans la merde, éradique les mélodies – un, deux, trois accords, pas plus, écorchés, lancinants, grondants –, laisse le chant hors-champs, hors-sujet. Joue du silence comme de la seconde qui précède, ou suit, la catastrophe. Du silence, justement, on dit que celui d’après Mozart est encore du Mozart. Un jour c’est sûr, on dira la même chose des silences de Mendelson. Parce que comme le noir, chez Mendelson, le silence aussi est éclairant.

Stéphane Duchêne

« Mendelson » (Ici d’Ailleurs)

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