Les zones d'ombre de Gesaffelstein

Gesaffelstein

Transbordeur

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Sacré nouveau champion de la techno française après la sortie très remarquée de son premier album "Aleph" fin octobre, Gesaffelstein est avant tout le dernier héritier en date d’une longue lignée d’artistes dédiés au versant le plus sombre des musiques électroniques. Décryptage. Damien Grimbert

Emergée en plein cœur de l’effervescence stylistique du début des années 80, toute une scène artistique européenne a contribué à l’établissement d’une esthétique sombre au cœur des musiques électroniques : DAF, Cabaret Voltaire, Throbbing Gristle, Esplendor Geometrico, Front 242, Nitzer Ebb… Loin de la chaleur, du groove et de l’euphorie de la house music, ces derniers privilégiaient rythmiques martiales sèches et tranchantes, beats plombants et nappes synthétiques oppressantes pour exprimer au mieux leurs émotions contrastées. Un héritage musical qui va marquer durablement toute une génération d’artistes techno français, qui ne tarderont pas à introduire ces influences underground dans leurs compositions. On pense bien entendu à The Hacker, mais aussi à des artistes comme David Carretta, Terence Fixmer, Arnaud Rebotini…

Cette deuxième génération, née dans les années 70, Gesaffelstein n’en fait pas partie. Né à Lyon en 1985, Mike Levy de son nom de baptême aurait pu, comme tant d’autres, céder aux sirènes de Daft Punk, Justice et la French Touch 2.0. Mais s’il côtoie et remixe avec plaisir tout ce petit monde avec lequel il se retrouve fréquemment à jouer en soirée, sa vraie passion est plus à chercher du côté de l’Electro Body Music (EBM) belge et de la techno de Detroit. Question de tempérament…

 

Variations

 

Et du tempérament, Gesaffelstein semble en avoir à revendre. Pas d’études, pas mal de conneries de jeunesse… À l’âge de 18 ans, il quitte Lyon pour la capitale sans y connaître personne et se plonge tête la première dans la musique. À 21 ans, il fait la connaissance de The Hacker et lui fait passer un disque. Deux ans plus tard, en 2008, sort Modern Walk, son premier EP sur Goodlife Records. La rencontre avec The Hacker, le jeune artiste la décrit comme déterminante. En interview, il est intarissable sur le rôle de son mentor, ami et «père musical», dans l’évolution de sa carrière. Une filiation d’autant plus touchante qu’il n’est par ailleurs pas du genre à jouer les compromis.

Signé sur trois labels différents (Zone Music, Turbo, sur lequel il sort la remarquée trilogie d’EPs Variations, Conspiracy Part I & Part II entre 2010 et 2011, et plus récemment Bromance, le label de Brodinski), Gesaffelstein joue au contraire la carte de la continuité et de l’homogénéité totale d’un morceau à l’autre, creusant inlassablement le même sillon jusqu’à ce que chaque son, chaque texture, chaque rythme soit poli, sculpté et peaufiné de manière à s’intégrer parfaitement au reste de son œuvre. Un dévouement sans faille qui paie dans les enceintes. Loin des tubes éphémères, chacun des morceaux composés par Gesaffelstein porte la marque indélébile de son auteur : atmosphère sombre et obsédante, puissance et énergie rythmique… Une invitation à la danse qui n’occulte jamais la dimension émotionnelle. Effet garanti sur le dancefloor.

 

Renouveau

 

Aussi remarquables soient-elles, ces qualités ne suffisent pourtant pas à elles seules à expliquer le succès tant critique que public remporté par Aleph, couvert d’éloges aussi bien en France qu’outre-Atlantique. Si l’album évite sans mal l’écueil de la "compilation de singles" auquel se heurtent fréquemment les auteurs d'EPs à succès, enchainant petites bombes pulsatiles (Pursuit, Obsession…), réminiscences acid (Duel), hommages EBM appuyés (Hate or Glory) et morceaux purement atmosphériques (Piece of Future) avec une belle consistance, il voit également Gesaffelstein s’ouvrir à des horizons nouveaux. Comme sur le surprenant Hellifornia, instrumental minimaliste ouvertement hip hop dont les infrabasses démesurées ne dépareraient pas sur un morceau de trap music made in Atlanta. Un appel du pied à l’imaginaire (gangsta-)rap également présent dans le clip d’Hate or Glory, et qui prend une dimension nouvelle lorsque l’on se rappelle que le producteur était aussi à l’œuvre (aux côtés de Brodinski) sur deux titres du dernier album de Kanye West.
 

Bien que relativement discret, ce chassé-croisé d’influences n’a ainsi pas échappé au public américain, qui, après s’être enivré jusqu’à plus soif des déclinaisons les plus fluo-putassières de l’"Electronic Dance Music" (de David Guetta à Deadmau5 en passant par Skrillex), semble désormais prêt à coopter une musique électronique plus sombre plus froide, et surtout plus consistante. Et c’est peut-être là, au final, que se situe la principale contribution de Gesaffelstein au genre : à défaut de lui avoir réinventé un futur, il a permis aux jeunes générations de découvrir, par le biais de sa musique, son héritage stylistique le plus noir et sans compromis. Pour notre part, on sera bien les derniers à s’en plaindre...

 

Gesaffelstein
Au Transbordeur, jeudi 14 novembre

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