Crocodile dandy

Le crocodile trompeur / Didon et Enée

Radiant-Bellevue

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

"Le Crocodile trompeur" est une relecture du "Didon et Énée" de Purcell mixant les codes de l’opéra et du théâtre. Une création drôle, inventive et réjouissante défendue par une équipe artistique qui, l’air de rien, insuffle un grand vent d’air frais au vaste monde du spectacle vivant. Rencontre avec la metteur en scène Jeanne Candel. Propos recueillis par Aurélien Martinez

C’est l’histoire de deux comédiens-metteurs en scène qui décident, un jour, de monter un opéra avec les codes du théâtre. Pourquoi pas le Didon et Énée de Purcell, une tragique histoire d’amour ? Oui, pourquoi pas, en effet... Qu’importe si l’on touche là à une pièce phare d’un domaine  moins enclin que d’autres à valider béatement toutes les excentricités de jeunes bien décidés à asséner un bon coup aux conventions. Sauf que Jeanne Candel, qui a mis en scène ce Didon et Énée avec Samuel Achache, joue d’emblée la carte de l’humilité : «On n’a pas réfléchi comme ça... On s’est plutôt demandé comment retravailler et réécrire ce monument de la mémoire collective. Dans les opéras, je me suis souvent dit que je trouvais la musique et les interprètes sublimes, mais qu’au niveau de ce qui était représenté, la musique était toujours plus puissante que le reste.»

D’où l’idée de triturer l’œuvre, de l’amputer de certains de ses membres lyriques, quitte à en rajouter d’autres plus théâtraux. En résulte la proposition Le Crocodile trompeur (le nouveau titre est issu d’une réplique que la reine Didon, blessée d’être quittée, adresse à Énée), que l’on pourrait qualifier d’opéra-théâtre. «Il y a autant de qualificatifs que de gens qui voient le spectacle ! Après, c’est vrai qu’on l’a produit dans des conditions dites du théâtre, et non de l’opéra. Parce que ça nous donnait plus de marge de manœuvre et de liberté. On pouvait mêler le temps de la musique et du théâtre dans le même processus.»

Touche-à-tout

Si certains passages sont fidèles au matériau de départ (comme la fin, glaçante), d’autres ont subi un profond lifting : «Par rapport au livret et à la partition, on a eu un rapport assez libre. On s’est permis d’effacer certaines parties, et d’en déplier d’autres, de rajouter des choses comme sur l’acte des sorcières.» Ces personnages maléfiques, qui veulent empêcher l’union des deux amoureux, se retrouvent ici dotés d’instruments et affublés de queues-de-pie. «Les sorcières sont à la fois des musiciens, des acteurs et des chanteurs ! À la base, quand on a regroupé tous ces artistes sur le plateau, on présupposait qu’ils pourraient toucher à tout avec leurs potentialités diverses...» Car dans Le Crocodile trompeur, si les fonctions de chacun sont très larges, elles sont toujours exercées avec une maîtrise bluffante. Comme dans le cas de la comédienne Judith Chemla, qui interprète Didon, ancienne pensionnaire de la Comédie-Française croisée notamment dans le film Camille redouble et qui se trouve être aussi une chanteuse lyrique exceptionnelle. 

Coupler inventivité et grande rigueur, tel a ainsi été le pari de Jeanne Candel et Samuel Achache, qui font passer le public par divers états, s'aventurant même franchement vers un registre comique inattendu. «Il nous semblait que le livret et la partition contenaient déjà ça – même si on a sans doute forcé un peu le trait ! Par exemple, la musique des sorcières était, pour nous, à la fois étrange et drôle. On a donc tiré cette chose au maximum, en essayant de créer une oscillation entre des grands moments de burlesque et d’autres plus tragiques, froids.» Pari réussi.

Contre l’ennui

Cette réussite est surtout dûe à l’approche décomplexée qu’ont eue les deux concepteurs, issus de collectifs ayant marqué le monde du théâtre de ces dernières années : La Vie Brève pour Jeanne Candel, avec la création Robert Plankett ; et D’ores et déjà pour Samuel Achache, à qui l’on doit le grandiose Notre terreur (mis en scène par Sylvain Creuzevault). Des spectacles qui se sont créés sur le plateau, avec les interprètes, comme ce fut le cas pour Le Crocodile trompeur. «Je parle plus de bande – l’idée de collectif est un peu galvaudée –, avec bien sûr cette idée que les choses s’écrivent  ensemble. Le musicien Florent Hubert a garanti l’unité de l’écriture musicale du projet, mais tout le monde a participé. C’est un échange permanent entre ce que l’on voit avec Samuel et ce que les interprètes proposent et provoquent. Il y a eu énormément de tentatives sur le plateau.»

Un théâtre on ne peut plus vivant, qui transpire la passion et l’engagement, et qui rappelle quelques artistes de cette même génération de trentenaires – Sylvain Creuzevault donc, mais aussi Vincent Macaigne par exemple. «Bien sûr, je me sens assez proche d’un certain mouvement. On est plusieurs à travailler un peu de la même manière, à avoir un rapport au plateau particulier...» Même si Jeanne Candel assure ne pas construire un théâtre en opposition à un autre plus ancien, plus formel. «On est les héritiers de plein de monde. On ne fait pas la révolution !» Certes, mais le vent nouveau qu’ils insufflent au spectacle vivant fait un bien fou. Exemple, cette interrogation de Jeanne Candel, qui ferait bondir nombre de metteurs en scène effrayés par la notion de plaisir : «Est-ce que l’on peut éviter ne serait-ce que l’ennui ? Je trouve que c’est vraiment une chose qui peut traverser de nombreuses formes théâtrales – même si, parfois, l’ennui peut être positif, pour laisser le spectateur rêver... Qu’est-ce que l’on peut mettre en place pour éviter ça ?» Sa réponse est à découvrir sur scène !

Le Crocodile trompeur
Au Radiant, samedi 30 novembre et dimanche 1er décembre

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