À partir de quatre faits divers qui deviennent autant d'histoires se répondant les unes aux autres, Jia Zhang-Ke signe son film le plus aventureux, ainsi qu'une très courageuse vision de la Chine contemporaine, entre colère des anciens et désespoir de sa jeunesse.Christophe Chabert
Un carnage sur une route de montagne, un homme qui prend les armes pour massacrer les édiles corrompus qui l'ont humilié, une maison de passe où les hôtesses rejouent sur un mode grotesque les grandes heures de l'Histoire maoïste... Tout au long des 130 minutes de A touch of sin, on est à deux doigts de se pincer pour être sûr que l'on assiste au nouveau film de Jia Zhang-Ke, maître chinois d'un cinéma contemplatif, post-antonionien et avide de métaphores. En même temps, le cinéaste semble avoir pris acte d'un système qui montrait largement ses limites lors de ses derniers opus et dont l'acmé, le sublime Still life, paraissait indépassable.
Or, non seulement il choisit de prendre son cinéma à rebrousse-poil, adoptant une franchise dans le propos et une frontalité graphique qu'on ne lui connaissait pas, mais il parvient à conserver ce qui a toujours fait le prix de sa mise en scène : une manière unique d'inscrire les personnages dans un décor qui raconte autant leurs impasses intimes que les apories de la Chine d'aujourd'hui.
Les armes ou les larmes
Inspiré par quatre faits divers qui lui confèrent sa structure éclatée et foisonnante, A touch of sin commence par un premier segment absolument fulgurant, une sorte de western chinois qui marquerait la rencontre entre Sergio Leone et Takeshi Kitano (par ailleurs co-producteur du film). La violence des images n'a alors d'égale que celle du discours, où les bons ouvriers communistes d'hier sont les laissés-pour-compte du capitalisme d'aujourd'hui. Mais eux ont encore le courage de prendre les armes... Car plus le film avance, plus ses personnages se résignent, incapables d'assumer une famille, un travail et, pour les plus jeunes, un avenir.
Tout en faisant surgir des visions poétiques et oniriques inoubliables, Jia Zhang-Ke finit par dessiner un fil rouge très direct à l'intérieur de son récit labyrinthique : celui d'un peuple chinois déboussolé, qui regarde passer le train économique complètement hagard et qui ne sait plus s'il doit se battre ou renoncer, attendre ou désespérer. L'ampleur de la fresque, la force du geste politique et esthétique, font de A touch of sin un véritable événement, ou plutôt un avènement : celui d'un cinéma chinois rageur et furieusement contemporain.
A touch of sin
De Jia Zhang-Ke (Chine, 2h10) avec Wu Jiang, Wang Baoqiang...