Ce mois-ci, la Ciné Collection propose dans les salles indépendantes de l'agglomération rien moins qu'un des plus beaux films du monde, mais aussi un des plus douloureux : Voyage au bout de l'enfer. En 1977, le tout jeune Michael Cimino — qui n'avait réalisé auparavant que le déjà très bon Canardeur avec Eastwood — se lance dans une fresque qui prendrait la guerre du Vietnam pour centre, mais qui la déborderait de part et d'autre pour écrire la chronique d'une petite communauté d'immigrés polonais installés dans une vallée sidérurgique de Pennsylvanie.
Avant le départ au front, on assiste au mariage de Steven, entouré de ses amis ouvriers la semaine et chasseurs de daims le week-end (d'où le titre original : The Deer hunter). Dans ce premier acte, Cimino cherche à faire corps avec les personnages en prenant le temps de les immerger dans un mariage où rien n'est simulé, ni les rituels, ni les accidents, ni l'alcool qui coule à flots... On ne parle pas que des "stars" — De Niro, Walken, Streep, Cazale... — mais aussi du moindre "figurant", terme que le cinéaste abhorre, considérant qu'un acteur, professionnel ou non, est avant tout une personne dont il s'agit d'enregistrer la vérité.
D'où l'émotion qui monte lors de la partie "guerrière", et pas seulement à cause de la célèbre scène de roulette russe ; le spectateur souffre autant que les personnages qui, confrontés à l'enfer physique puis psychologique, y laissent leur chair mais surtout leur âme. Le retour au pays est marqué par cette plaie encore ouverte, et l'enjeu du film consiste alors à ressouder une communauté meurtrie et désunie, rôle qu'endosse Michael / De Niro, le plus solitaire et individualiste de tous.
Ce trajet-là est aussi celui du cinéaste Cimino à l'intérieur de son propre film, des échos de la modernité et du réalisme européen jusqu'à la refondation d'un classicisme hollywoodien, renaissance d'une nation et de ses images débarrassées de leurs mensonges initiaux.
Voyage au bout de l'enfer
De Michael Cimino (1978, ÉU, 3h) avec Robert De Niro, Christopher Walken, Meryl Streep...
Dans les salles du GRAC (www.grac.asso.fr), jusqu'au 3 février