C'est l'histoire d'un mec, y surprend

Monsieur Fraize

Espace Gerson

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Seul et en silence, Monsieur Fraize renverse les codes du café-théâtre et plonge son auditoire dans l’hilarité comme personne, le long d'un spectacle sur le fil, reflet d’une société infiniment fragile. Rencontre. Nadja Pobel

Il fallait le voir l'été dernier au festival d’Avignon... où il n’était pas. Dans le capharnaüm d’affiches qui recouvraient les murs, abribus et autres glissières de sécurité de la ville, il y avait la sienne : la photo d’un fil à linge sur lequel séchaient son polo rouge et son pantalon bleu de velours, surmontée du texte « Monsieur Fraize relâche du 8 au 31 juillet 2013 ». Pas de visage, à la différence de tous ses congénères comiques, encore moins de spectacle, alors que l’année précédente il remplissait le Palace. Voilà résumé ce que Marc Fraize essaye de faire avec son personnage : se décaler. Etre là où ne l’attend pas, ne pas être là où on l’attend.

Pourtant, rien ne prédisposait ce quasi quadragénaire à être sur les planches, si ce n’est «une envie de connaitre des gens», née quand sa famille a quitté la banlieue parisienne pour celle de Lyon. Il est alors lycéen, suit un copain dans la troupe du Sol à Charly : « J’adorais l’idée de construire quelque chose à plusieurs. J’aimais ce vieux mythe du Café de la Gare, avec des potes qui jouaient, mangeaient des pâtes, se couchaient tard, gagnaient trois francs six sous et faisaient des choses ensemble alors qu’ils ne savaient rien faire ». Il ne devient toutefois pas immédiatement comédien. Pour rassurer ses parents, il s'inscrit à la fac de Lyon 2 où il ne mettra en fait jamais les pieds, et devient bagagiste dans l’hôtellerie de luxe, jusqu’à être concierge de la Villa florentine de Lyon. Malgré des revenus confortables et de gros pourboires, Marc Fraize décide à 26 ans de vivre de ce qu’il n’avait même pas encore essayé : faire rire.

Il aime Coluche et Fellag, ne connait pas encore Andy Kaufman, dont il est désormais un troublant descendant, et ignore tout des cafés-théâtres qu’il se met à écumer «pour voir ce qui se faisait». Las, il constate que tout y est sur des rails et que le business commence à gangrener ce milieu pourtant plus éclectique qu’il ne l'est aujourd’hui : « On ne voyait pas le risque, la goutte de sueur. J’ai alors voulu créer un personnage d’anti-héros, trouver ce qui allait personnellement m’amuser et surprendre ». Soit un type normal, qui ne dit rien ou si peu, se demande où il est, annone et chantonne, mime, fait semblant de n’avoir rien à faire là, arpente le plateau, observe, commente le lieu - cruellement souvent - montre des photos de son chat en aparté, esquisse des situations, les interrompt ou les fait traîner jusqu'au malaise et à l'esclaffement.

Reprendre au début

2001, premier one-man-show au Complexe du rire. Puisque personne ne connait son visage, il met un chien sur son affiche, histoire d’interpeller et de se démarquer des « gens les pouces en avant ». « Ce sont mes meilleurs souvenirs. Le personnage de Monsieur Fraize était déjà là, comme un fil rouge entre des sketches. C’était un moment facile où je me découvrais moi-même. Aujourd’hui, il est plus dur de retrouver cette fraîcheur». Les prix dans les festivals d’humour s’amoncellent. Six ans et 800 dates plus tard, il sent cependant que le spectacle lui échappe ; il devient père aussi et s’accorde trois ans de break, le temps d’être oublié de ce monde qui zappe plus vite que son ombre. Pour se refaire un nom, le télé-crochet On ne demande qu’à en rire de Laurent Ruquier tombe alors à pic.

Sur le thème du mariage de Kate et William qui lui a été donné à une semaine de l'enregistrement, il fait silence : « Un blanc de 45 secondes, ça n’avait plus été vu à la télé depuis Giscard » plaisante-il aujourd’hui. De rires gênés en silences interloqués, la sauce prend. « Dès le premier passage, j’ai eu deux ans de travail ! ». Il en fera dix, refusant de revenir chaque semaine, optant pour une apparition mensuelle, laissant s’installer l'attente, son premier ressort comique. En coulisses, on lui reproche de ne pas jouer en bande avec les Tsamère et Ferrari, menace de ne le payer que la moitié de ce qui lui est dû car il ne tartine pas de textes, au contraire de ses camarades, qui eux "bossent". De ce procès en fainéantise, il se défend facilement, arguant qu'il «est plus rassurant d’avoir un texte» que de marcher constamment sur un fil de funambule. Au risque, parfois, d’aller au casse-pipe : « J’essaye de laisser de moins en moins de place à l’improvisation mais je suis incapable d’avoir un truc tout prévu ».

On continue ?

Mercredi 8 janvier, date de la première de son nouveau spectacle, plus bavard, tout n’était d'ailleurs pas encore en place. L’essence de son personnage suffit à provoquer l’hilarité générale, même lorsqu’il anticipe sans le vouloir l’affaire Dieudonné, en lisant un texte ardu de la philosophe Catherine Chabrier sur la judéité. Du quenellier antisémite, il pense qu’il « est extrêmement talentueux et con à la fois », mais ce lynchage à tous contre un lui fait froid dans le dos, atterré qu'il est de voir que l’Etat n’a pas mieux à faire. Car si les spectacles de Marc Fraize sont infiniment divertissants - « je ne veux pas faire oublier les problèmes mais jouer avec » -, ils ne se limitent pas à cela. Promettant à son auditoire d'en sortir « inquiet », il ne veut surtout pas gommer la fragilité de son personnage, qui fait paradoxalement sa force comique. « Je ne peux pas décemment ne pas exprimer le malaise que je ressens par rapport aux gens qui s’emmerdent dans leur boulot, sont manipulés toute la journée par des infos. Il y a un moutonisme ambiant qui fait que personne ne l’ouvre. Les manifs ne servent plus à rien. L’air du temps est un outil énorme pour Monsieur Fraize ». En jouant avec cette ambigüité, en osant tout et en mesurant sa chance d’être là, Monsieur Fraize dynamite son métier et s’impose comme le meilleur d’entre tous.

Monsieur Fraize
A l'Espace Gerson, jusqu'à samedi 18 janvier

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