Berlinale 2014, jour 6. Invasion chinoise.

Aloft de Claudia Llosa. La Tercera orilla de Celina Murga. Black coal, thin ice de Diao Yinan. No man’s land de Ning Hao.

Définitivement incernable, la compétition berlinoise… Et pas terrible, soyons honnêtes. Deux films sont encore allés s’échouer dans le néant festivalier, comme si la série A de la Berlinale se plaisait à compiler, exemples à l’appui, tout ce que le cinéma actuel peut produire d’œuvres confites dans les académismes. La Tercera orilla, premier long argentin de Celina Murga, est ainsi un prototype de world cinema dont on cherche jusqu’au bout ce qui a pu motiver sa réalisatrice à entreprendre un tel projet, qu’on a déjà vu au minimum mille fois sur grand écran.

Le passage de l’adolescence à l’âge adulte, les difficiles relations père / fils, une petite touche de critique sociale — petite, toute petite — et une mise en scène d’une sagesse absolue, où il s’agit avant tout de chercher la note juste, la bonne durée, la lumière belle mais pas trop, et de montrer que l’on sait raconter son histoire et diriger ses comédiens. Pas de souci à ce niveau-là, mais où est l’appétit ? Où est l’envie de bousculer la forme ? Où est le désir d’imposer un point de vue nouveau sur son sujet ? Nulle part, désespérément nulle part…

Sundancerie

Claudia Llosa avait raflé ici à Berlin un Ours d’or surprise pour La Teta asustada, film étrange et prometteur. Avec Aloft, coproduction entre l’Espagne, la France et le Canada qui réunit un casting bankable — Jennifer Connelly, Cillan Murphy et Mélanie Laurent — Llosa a basculé dans le pire du cinéma indépendant à visée internationale. En voulant créer une espèce de SF antidatée et filmée dans un paysage glacé et désolé, où les malades se remettent entre les mains d’un architecte ayant construit une «structure» aux vertus curatives — un gourou new age, quoi — la réalisatrice ne sait trop si elle doit souligner l’étrangeté de son propos ou le fondre dans l’ordinaire d’une esthétique «sundance».

Résultat : festival de contre-jours, de caméra portée, de gros plans atmosphériques, soit toute la panoplie du film sérieux qui a des choses douloureuses à dire avec, bien entendu, une narration à deux niveaux de temporalité, au demeurant pas du tout maîtrisée. Et pour dire quoi, au juste ? Que ce qui sauve, c’est l’amour et la foi ; que le pardon est douloureux mais nécessaire pour surpasser la culpabilité ; que les fils ne peuvent pas vivre sans l’amour de leur mère, et que les femmes ne vivent que dans l’espoir d’une maternité… Il faudra dire la prochaine fois à Claudia Llosa que quand les portes sont ouvertes, ce n’est pas la peine de les enfoncer, et qu’il vaut mieux éviter les clichés que de patauger dedans.

La Chine, pays froid

Et puis les Chinois débarquèrent à Berlin… La formule est à prendre au pied de la lettre : coup sur coup en compétition, deux films venus de la tentaculaire République populaire ont fait souffler le chaud et le froid sur la Berlinale. Le froid, c’est le polar Black coal, thin ice, petite sensation du festival, même si le film a quelques gros défauts, notamment une partie centrale où le scénario manque cruellement de tension. C’est un peu le jeu aussi, car le cinéaste cherche à tout prix à déminer son argument de thriller — plusieurs corps démembrés sont retrouvés dans des usines de charbon et l’enquête, menée par un policier fraîchement divorcé, le conduit sur la fausse piste du frère d’une des victimes, dont l’arrestation vire au carnage — par le choix de personnages absolument ordinaires se débattant avec des questions très quotidiennes.

La nouvelle vague du cinéma de genre sud-coréen est passée par là, et Black coal, thin ice paie manifestement son tribut à une œuvre comme Memories of murder. Cependant, le style de Diao Yinan possède sa propre singularité, notamment dans sa manière de filmer un espace urbain passablement en ruine, éclairé aux néons et peuplé de détails étonnants. En premier lieu cette patinoire nocturne en plein terrain vague qui va devenir le centre du film lorsque, l’enquête relancée par de nouveaux crimes cinq ans après, le policier déchu va reprendre du service… pour mieux s’éprendre de la suspecte principale.

Yinan convoque ainsi les archétypes du film noir — la femme fatale, le flic désabusé — mais les réinscrit dans un territoire entièrement nouveau, celle d’une Chine triste à pleurer, où tout semble figer dans une grisaille éternelle. Très violent mais toujours baigné d’une ironie inattendue, avec un érotisme très franc, soutenu par de très belles idées de mise en scène, Black coal, thin ice met en pièces quelques idées reçues sur le cinéma chinois contemporain.

La Chine, pays chaud

Puis c’est un western chinois contemporain titré No man’s land et signé Ning Hao, réalisateur du remarqué Mongolian Ping-pong, qui a soufflé le chaud sur la Berlinale. Dans ce désert à la Mad Max où se déroule la quasi-totalité de l’action, il règne effectivement une température caniculaire, et le feu sous toutes ses formes sera le carburant de la plupart des péripéties. Pour bien accentuer la chose, Ning Hao sature l’image de couleurs orangées et jaunâtres, fait voler de la poussière partout, barbouille les visages des comédiens de sueur et de crasse…

L’hommage à Sergio Leone est appuyé, trop sans doute. En effet, il y a un bon — enfin, si tant est qu’un avocat propre sur lui et un peu requin sur les bords puisse être considéré comme bon — un truand — dont le job principal est de voler des faucons — et une brute — qui n’hésite pas d’entrée à défoncer une voiture de police et le flic qui est dedans. L’argent est la motivation principale des protagonistes, et tous les coups sont permis pour le récupérer. Les autochtones dégénérés que l’on croise au cours du récit en sont l’expression la plus vile et la plus drôle : ainsi de cette vieille femme qui fait payer chaque réponse aux questions qu’on lui pose, même ses «je ne sais pas». Cela se traduit donc par une succession de poursuites spectaculaires, de gunfights violents, de bastons épiques, le tout saupoudré d’un humour très noir et d’une bonne dose de mauvais esprit.

Que vaut le film à l’arrivée ? Ce que peut valoir un produit d’exploitation mainstream plutôt chiadé, quoique trop long et totalement raté dans son épilogue. Ning Hao possède un savoir-faire qui n’a rien à envier à Hollywood, et c’est sans doute cela qui intrigue vraiment dans No man’s land. De toute évidence, le cinéma chinois n’a plus envie de se contenter de son marché intérieur, et entend bien concurrencer le cinéma commercial du rival américain. Évidemment, la barrière de la langue et le manque de notoriété des acteurs — pourtant excellents ici — font que le chemin est encore long avant d’aller rafler la mise sur le marché yankee ; mais ce que l’on a vu éclore dans cette compétition berlinoise, c’est une génération de cinéastes chinois résolument décomplexés et bien décidés à ne pas rester les seconds couteaux exotiques de la production mondiale.

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