Grands et nouveaux noms de la Berlinale

Après le palmarès rendu samedi par un jury emmené par James Schamus, bilan d’une Berlinale à la compétition très inégale, avec quelques révélations, dont l’Ours d’or "Black coal, thin ice". Christophe Chabert

Huit jours à la Berlinale, c’est sans doute le meilleur moyen d’avoir un panorama fidèle de ce qui se déroule dans la production internationale. La compétition, à la différence de Cannes, n’aligne pas les grandes signatures mais mise, de façon parfois hasardeuse, sur de nouveaux auteurs et des films venus de pays en plein renouveau. On exagère cependant : il y avait deux cinéastes majeurs dans la compétition, et tous deux ont figuré en bonne place au palmarès.

D’un côté Wes Anderson, dont le Grand Budapest Hotel est absolument génial, et qui est allé chercher un Ours d’argent très mérité — on lui aurait même donné sans souci la statuette dorée ; de l’autre Alain Resnais qui, après le ratage de Vous n’avez encore rien vu, redresse la barre avec Aimer, boire et chanter, moins lugubre et testamentaire que ses précédents, mais toujours hanté par les rapports entre théâtre et cinéma. La mort annoncée d’un des personnages, dont tout le monde parle mais qu’on ne verra jamais, va révéler chez des êtres vieillissants, pétrifiés dans leurs mensonges et leur vie bourgeoise, désirs et angoisses, pulsions de vie et peur de la perte. Très expérimental — au risque parfois d’une certaine laideur — mais aussi très allègre et ludique, le film a décroché le Prix Alfred Bauer, remis à une œuvre qui ouvre de "nouvelles perspectives" pour le cinéma — amusant pour un cinéaste de quatre-vingt douze ans.

La Glace et le charbon

Moins reconnu que ces deux-là, Richard Linklater risque de changer de statut grâce à son très beau et follement ambitieux Boyhood, tourné durant une dizaine d’années pour regarder grandir à l’écran son jeune héros Mason, et avec lui l’acteur formidable qui l’incarne, Ellar Coltrane. Avec son habituelle discrétion stylistique, Linklater — Ours d'argent du meilleur réalisateur — signe ici son œuvre la plus riche et émouvante, portée par de subtiles poussées romanesques.

Quant à l’Ours d’or, il est revenu à une des belles surprises de la Berlinale, Black coal, thin ice du Chinois Diao Yinan, surprenant film noir qui réinvente les codes du genre par un travail sur la quotidienneté des situations et des personnages, mais aussi par l’observation d’une Chine jamais montrée, grise, pleine de terrains vagues et de barres d’immeubles décrépies. Le film n’est pas parfait — le scénario manque de nerf dans la partie centrale — mais il montre que le cinéma chinois est en train de s’éveiller, et qu’il faudra compter avec lui dans les années à venir.

Absent du palmarès, une autre révélation à Berlin : ’71 de Yann Demange, qui réussit un "Ireland movie" comme il y eut des "Vietnam movies", tendu, haletant et archi-maîtrisé, surtout pour un premier film. Ces cinq films-là ont survolé une compétition inégale, au sein d’un festival que les sections parallèles, riches et variées, ont rendu passionnant.

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