Andrevon : une odyssée de la SF


Romancier, peintre, critique mais surtout passionné de science-fiction et de fantastique, Jean-Pierre Andrevon sort une intimidante et définitive encyclopédie consacrée à «100 ans et plus de cinéma fantastique et de SF». Une somme qui lui a pris douze ans de sa vie, à moins qu’elle ne résume une vie entière de cinéphile. Propos recueillis par Christophe Chabert

Comment es-tu tombé dans le fantastique et la SF ? Dans la littérature d’abord, puis dans le cinéma ensuite ?

Jean-Pierre Andrevon : C’est presque concomitant. Je suis un enfant de la guerre et j’ai commencé à aller au cinéma très tôt, vers mes 6, 7 ans, quand beaucoup de films américains bloqués sous l’occupation ont commencé à sortir en vrac. Au départ, il n’y avait pas beaucoup de films de science-fiction, c’était surtout les Tarzan avec Johnny Weissmuller, les westerns de John Ford, les films de cape et d’épée avec Errol Flynn. Les tout premiers films de SF sont arrivés au début des années 50, c’était La Chose d’un autre monde, Destination lune, Le Choc des mondes… Mais j’avais lu auparavant des ouvrages de science-fiction ; le premier, c’était La Guerre des mondes de Wells, qui n’est pas particulièrement un livre pour enfants, mais que j’ai lu quand j’avais moins de dix ans.

Surtout, je lisais un petit magazine de bande dessinée, le premier à ressortir en France après la guerre, qui s’appelait Coq hardi. Et il y avait dedans un certain Marijac qui avait créé une bande d’attaque extra-terrestre qui s’appelait tout simplement Guerre à la terre, dessinée par un vieux de la vieille nommé Auguste Liquois. Je suis tombé dans la SF grâce à cette BD.

As-tu tout de suite eu un instinct encyclopédique vis-à-vis de ça ? Est-ce que tu consignais des notes dans des cahiers ?

Au départ, certainement pas. Mes premiers écrits sur le cinéma, je les ai faits quand j’étais étudiant, dans des petites revues éditées par l’association des étudiants de Grenoble. Très vite après, j’ai été engagé par l’édition grenobloise du Progrès de Lyon ; ils m’ont pris comme pigiste en remplacement pour faire les chiens écrasés et ils m’ont gardé, donc j’ai glissé vers le culturel, puis vers le cinéma. C’est là que j’ai fait, à haute dose d’ailleurs car je colonisais les pages, de la critique de cinéma, généraliste mais la SF en faisait partie.

Pendant toutes les décennies que tu as traversées, est-ce que le fantastique et la SF sont restés des genres phares, ou as-tu gardé cet éclectisme ?

Ça s’est forcément affiné à partir du moment où j’ai commencé à écrire de la SF et du fantastique, vers la fin des années 60. Ma première nouvelle est parue dans le numéro de mai 68 de Fiction. J’ai continué à écrire des critiques puisque peu de temps après Le Progrès dauphinois, un tout jeune fan de 17 ans, Alain Schlockoff, a lancé la première édition de L’Écran fantastique en 1969, et je l’ai tout de suite rejoint. Ça s’est accumulé, j’ai fait une rubrique dans Charlie Mensuel sur la SF, aussi bien les romans que les films, et puis à Fiction, où j’ai été appelé pour faire des critiques de romans, de BD mais aussi de films. De décennie en décennie, j’ai accumulé un nombre de critiques impressionnant !

En tant que spectateur, mais aussi en tant qu’historien, comment as-tu vécu les mutations du genre, le basculement dans le réalisme des années 70 après La Nuit des morts-vivants, l’aspect parodique des années 80, les remakes d’aujourd’hui ?

Je ne fais pas partie des gens qui crient au scandale en disant que c’était mieux avant, car c’est faux, ce n’est jamais mieux avant. C’est de la nostalgie. Je ne dis pas non plus que c’est mieux maintenant ! Chaque période suscite une forme d’art, des styles, même si c’est vrai que l’arrivée des effets spéciaux numériques a tout changé. Je vois surtout les choses d’un point de vue idéologique et le changement s’opère fin 60, début 70 : on sort du schéma les mauvais extra-terrestres attaquent.

Tu parlais de La Nuit des morts-vivants en 68, mais la grande date, c’est surtout 2001 l’odyssée de l’espace de Kubrick la même année. Dans la foulée, il y a eu les films de Douglas Trumbull ou Soleil vert, des œuvres très critiques envers la société, qui m’ont beaucoup intéressé. Je regrette que le soufflé soit un peu retombé, mais je ne crie pas haro sur les effets spéciaux. Il n’y a qu’à voir Gravity ou Avatar ! Quand on se sert intelligemment des effets spéciaux, c’est formidable.

Je peux même dire que l’arrivée massive des effets spéciaux a comblé une frustration de jeune spectateur où, quand je voyais un film de science-fiction, je ne retrouvais pas les images que les romans suscitaient en moi. Les effets spéciaux n’étaient pas terribles, à l’exception de Planète interdite, qui est un de mes films cultes…

Quand on lit ton encyclopédie, on se rend compte que tu attaches en effet beaucoup d’importance à la qualité des effets spéciaux, mais aussi à la vraisemblance et à la crédibilité des choses à l’écran…

C’est vrai car je suis très attaché au réaliste, comme auteur d’abord. Je suis un homme d’images plus que de pensée philosophique. Quand j’écris, j’imagine le décor plus que la psychologie des personnages, je visualise les choses. Ça vient vraiment de l’enfance où, quand je voyais des films de SF, je souffrais. Il y en avait d’excellents mais par exemple dans Le Jour où la terre s’arrêta, il n’y avait aucun effet spécial, à part le vaisseau.

Est-ce que tu pratiques vis-à-vis du cinéma de SF la politique des auteurs ?

Difficile à dire. Un film n’est pas comme un roman ou un tableau, il y a tellement d’aléas de production, de technique… Je ne pense pas qu’il y ait un seul réalisateur en SF qui ait réussi l’intégralité de son œuvre. Jack Arnold est un exemple très ciblé dans la SF des années 50 et 60. Carpenter et De Palma dans le fantastique, et encore, De Palma a fait beaucoup plus de thrillers et de polars que de films fantastiques. Même Kubrick : je n’aime pas du tout Orange mécanique, passées les vingt premières minutes, il n’y a plus rien. Et le message est très ambiguë.

N’empêche, on peut suivre des gens, même si chaque film doit être considéré comme une œuvre unique. Ridley Scott a magnifiquement réussi Blade Runner et le premier Alien, et il s’est pas mal planté avec Prometheus, donc même ceux dont on aurait pu croire au départ qu’ils tiendraient le coup ne le font pas toujours.

On sent que tu as une réelle admiration pour Tim Burton…

C’est vrai. Tim Burton est peut-être celui qui a le moins de déchets. Il a un univers particulier, un univers forain, on le verrait bien faire un remake de Freaks d’ailleurs… Mais le fait de vouloir classer les films par leur qualité, même si je l’ai fait dans le livre avec les petites étoiles, est un faux débat. Le cinéma, et le cinéma fantastique et de SF à l’intérieur, est une longue route qui a à peine plus de cent ans.

Combien de temps a pris la fabrication du livre et comment as-tu procédé pour voir les films les plus rares ?

J’étais en possession d’un grand nombre de critiques écrites de films que j’avais vus à leur sortie dans les années 50, 60 et 70. C’est l’arrivée de l’informatique qui m’a décidé. J’avais ces documents tapés à la machine ou dans les revues où ils avaient été publiés, et avec l’ordinateur, il y avait le moyen de les conserver. J’ai commencé à retaper 25 ans d’articles sans savoir ce que j’allais en faire. Au fur et à mesure, je me suis dit que j’allais peut-être pouvoir faire un recueil d’articles sur les films de SF et le fantastique.

Après, je me suis dit : pourquoi seulement les films ? Faisons aussi les réalisateurs principaux… Et puis pourquoi seulement les principaux ? Et les acteurs, les effets spéciaux, les sous-genres… Ça s’est passé vraiment comme ça, et le matériel s’augmentait des films que je voyais semaine après semaine.

Tu es resté sur tes impressions de l’époque ?

Non, chaque fois que je pouvais revoir un film, je l’ai revu. Parce que la mémoire est très infidèle ! D’une part avec le DVD, d’autre part en streaming, on trouve pas mal de trucs en tapant seulement le titre d’un film sur un moteur de recherche. J’ai vu pas mal de films russes des années 50 et 60 que je n’avais jamais vus…

N’est-ce pas frustrant de terminer un livre alors que l’Histoire est encore en train de s’écrire, comme avec le revival SF de l’année 2013 ?

Certainement, mais c’est le lot de tout dictionnaire. Dès qu’on met le mot fin, un événement se produit, un film sort. Ce n’est pas de la frustration, plutôt la sensation d’un cap qui est franchi. Ça m’a pris douze ans de ma vie, c’est fini, et je me demande ce que je vais faire après.

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