Nuage : matière absorbante

Le bavard et le faux taiseux. L’un, Damien Pousset, délégué artistique de la Biennale Musiques en scène, qui s'ouvre prochainement, trouve l’idée fondatrice et la malaxe jusqu’au cœur. L’autre, James Giroudon, Directeur Général de Grame, milite poliment et depuis toujours pour une musique contemporaine accessible à chacun. Rencontre avec deux hommes sur un nuage. Propos recueillis par Pascale Clavel

Quid de la musique contemporaine aujourd’hui ?
James Giroudon :
L’idée de Grame a toujours été de trouver, en face de la création contemporaine sous ses diverses formes, des publics qui ne soient pas uniquement des publics de spécialistes. C’est un challenge que nous nous sommes toujours fixés. Les musiques contemporaines doivent être immergées complètement dans la modernité, dans ce qui fait les mutations de la société. La création musicale d’aujourd’hui, ce sont des œuvres de concert aux formats traditionnels mais élargis aux nouvelles technologies. Ce sont aussi beaucoup d’autres types de regard en direction de l’art numérique, de l’image, des arts plastiques… La Biennale, cette année, davantage que d’autres éditions, grâce à la présence d’Heiner Goebbels, donne cette ouverture à 360 degrés. Musiques en scène 2014, c’est la musique présente, ici dans un théâtre, ici dans un musée, dans des lieux que fréquentent des publics très variés. C’est aussi dans la modernité des propositions que nous allons chercher un nouveau public. La musique est là, dans ce melting pot des moyens d’expression.

Damien Pousset : Vous nous demandez en fait pourquoi la musique contemporaine a autant de mal à rencontrer un public. Pourquoi la musique savante, même classique, se communique avec difficulté et comment on doit trouver des moyens pour qu’elle retrouve le chemin vers un public. La musique est un art du temps, un art abstrait. Notre temps va à l’encontre de cette pratique, nous sommes dans un temps très morcelé et nos outils informatiques nous encouragent à avoir un mode de pensée discontinu, alors que cet art-là est plutôt un art du continu. Lors de la Biennale, la musique est dans les théâtres, dans la rue, dans le participatif avec, comme exemple, le concert de téléphones portables. Nous avons mis en place tout un dispositif d’accompagnement du public. Depuis plusieurs mois, nous avons ouvert "La fabrique de l’oreille", des moments de réflexion, aux Subsistances, où l’on invite le public à venir réfléchir à une notion qui n’a a priori rien à voir avec la musique mais à voir avec le thème du nuage. Un des grands enjeux de cette Biennale, c’est de ramener la musique dans une forme de quotidienneté. Dans mon exemple, le téléphone portable, que tout le monde possède, devient instrument de musique. 

En quoi est-elle si différente des autres Biennales ?
JG :
Elle est différente d’abord par sa visibilité dans la ville. La présence des conteneurs, le nuage place des Terreaux… des dispositifs simples mais efficaces. Il est important qu’une manifestation devienne un événement. Je me demande toujours comment nous faisons existence dans une ville où les propositions culturelles sont déjà si nombreuses. Cette année, une étape supplémentaire a été franchie. On demande au public de rester une heure, parfois deux voire six heures à écouter un concert et, dans cette époque d’immédiateté, c’est un enjeu mais aussi un point fort qu’il faut absolument défendre.

D’où vient l’idée du nuage ?
DP :
Le nuage, c’est le cloud computing. L’idée que toutes nos machines, toutes nos données se mettent finalement à fonctionner en réseau, se mettent à communiquer entre elles presque malgré nous. Le nuage, c’est le réseau, la création à distance, la manière dont la musique se met à communiquer avec les autres disciplines. D’où Heiner Goebbels, l’artiste qui représente le mieux cette manière de faire entrer en résonnance toutes les pratiques artistiques. Bien sûr, dans l’idée du nuage, il y a une dimension poétique. Toutes les œuvres présentées travaillent sur la notion de communication mais ce sont aussi des œuvres qui ont quelque chose à voir avec le nuage de façon poétique. Je pense à la première œuvre du festival, un grand nuage de six heures, le 2e Quatuor de Morton Feldman. Cette œuvre, ce sont des microparticules jouées par chaque instrumentiste. Forme longue, méditative, on peut rester six heures comme on peut rester dix minutes. Le nuage aussi comme une invitation à la création à distance. Par exemple le Jardin des songes de Jean-Baptiste Barrière au Musée Gadagne : les gens vont pouvoir venir déposer leurs rêves et à la fin, un concert simultané se donnera entre New-York et Lyon. Nous avons aussi une création avec le centre de détention de Corbas. Des femmes détenues vont jouer dans le cadre du concert du Chœur Britten, travail encore sur la notion d’espace. Autre exemple avec l’univers de Rebecca Saunders, compositrice britannique qui installe des instruments dans l’espace, et les fait communiquer à distance d’une manière très délicate et belle.

JG : Le nuage, ce sont des notions sur lesquelles nous travaillons de manière habituelle à Grame. Nous en avons fait cette fois la tête de pont d’une manifestation, c’est une belle cohérence avec les préoccupations qui nous animent d’une manière générale. L’interconnexion, la création à distance, sont des choses au cœur de nos problématiques. En 2012, la Biennale était autour de l’œuvre de Michael Jarrell, en 2010 autour de celle de Kaija Saariaho, personnalités emblématiques de la création musicale dans toute son ouverture. Je pense que la thématique de 2014 est encore plus en phase avec ce qui nous anime.

Biennale Musiques en scène
Du mercredi 5 au samedi 29 mars

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