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Photo : "Au nom du fils" de Vincent Lannoo
En filigrane d’une septième édition riche en invités, films rares et avant-premières célébrant le cinéma différent et dérangeant, le festival Hallucinations collectives fait une place aux vengeurs de tout poil et de tous calibres, défendant des causes diverses, réjouissantes ou… indéfendables ! Christophe Chabert
Vous rentrez chez vous crevé par une longue journée de boulot mal payée, prêt à retrouver femme et enfants ; pas de bol, vous avez le malheur d’habiter dans un quartier pourri et une bande de délinquants pas forcément juvéniles et pas forcément colorés ont eu la mauvaise idée de violer et massacrer toute votre famille. Votre sang ne fait qu’un tour et vous voilà devenu aussi, sinon plus, sauvage que vos agresseurs, armé jusqu’aux dents, décidé à faire payer le prix fort à ces saligauds. Bref, vous voici transformé en vengeur urbain, sautant à pieds joints par-dessus les lois et prônant une justice expéditive bien plus efficace que la justice officielle, évidemment corrompue.
Ce scénario, quasi-immuable, a fait la fortune d’un sous-genre du cinéma policier baptisé selon la terminologie consacrée par les cinéphages — frange mordante et mal lunée de la cinéphilie — vigilante movie. Charles Bronson en Justicier dans la ville est l’emblème de ce "mouvement" qui relève de l’exploitation pure et dure et dont les valeurs penchent très très à droite. Le progressisme n’est pas de mise dans le vigilante movie, mais les cinéastes les plus malins ont su détourner cette idéologie en créant une distanciation subtile envers leur personnage d’apprenti facho.
Sans sommation
Au cours de cette septième édition d’Hallucinations collectives, on pourra ainsi redécouvrir un des films les plus tordus du genre : Vigilante, réalisé par William Lustig, loustic ayant déjà trompé son monde avec Maniac, portrait tout de compassion perverse envers un serial killer souffrant d’un Œdipe très mal réglé. Robert Forster — acteur qui, des années plus tard, fera un comeback éblouissant dans Jackie Brown, d’un autre maître du récit de vengeance, Quentin Tarantino — y est donc un citoyen ordinaire, gris et sans histoire ; mais, suite aux outrages faits à sa progéniture et à son épouse, il rejoint une milice clandestine pour dégommer les voyous puis le juge ripou qui l’a, comble du comble, envoyé à leur place derrière les barreaux. Forster traverse tout le film avec une mine de déterré comme s’il traînait une lourde culpabilité avant même de verser le premier sang ; une scène dingue le verra d’ailleurs se faire pourrir par sa propre femme, contusionnée et encore hospitalisée, qui le renverra à ses absences et à sa démission d’époux et de père. Pour l’identification, on repassera…
Dans le très raté Shield of straw — honni à Cannes et repêché par Hallucinations collectives pour une de ses seules projections françaises — Takashi Miike généralise la justice sauvage au Japon tout entier. Un milliardaire met la tête d’un pédophile à prix et une équipe de flics doit donc le protéger à pied, en train et en voiture contre cette vindicte populaire pouvant surgir de n’importe où et de n’importe qui. La critique du fascisme ordinaire n’est qu’un leurre : au bout du chemin, c’est bien la peine de mort qui attend le coupable. Ben quoi ? Tuer quelqu’un d’accord, mais proprement et au nom de la loi et de l’État.
Dieu, j’aurai ta peau !
La vengeance sauvage rend-elle le vengeur heureux ? Sa conscience sort-elle soulagée d’avoir rendu coup pour coup et balle pour balle envers ceux qui l’ont offensé ? Présenté en compétition au festival, Au nom du fils du cinglé belge Vincent Lannoo déporte la question vers les rives d’un anticléricalisme ravageur digne des grandes heures d’Hara-Kiri. Dans ce film bête — ça se discute — et méchant — c’est indiscutable — on voit une catho très tradi, animatrice dans une émission de libre antenne sur une version wallonne de Radio Courtoisie, découvrir : 1) que son mari est un maboul fondamentaliste obsédé par les armes et l’invasion de l’Occident par les Talibans ; 2) que son fils est gay ; 3) que son prêtre préféré est pédophile ; 4) que l’Église passe son temps à étouffer ce genre d’affaires compromettantes. Elle se transforme donc en justicière allant décimer prélats et évêques, dans un jeu de massacre qui fait office de catharsis pour le spectateur épuisé par l’hypocrisie religieuse malsaine des temps présents. Ça fait du bien, car ça fait très mal.
La vengeance, cependant, peut surgir de tous côtés, et les vengeurs prendre des apparences pour le moins surprenantes. Dans le méconnu et pour le coup hallucinant Baxter de Jérôme Boivin — qui présentera le film au festival — écrit par, excusez du peu, Jacques Audiard, un bull terrier pense à voix haute et off, livrant ses commentaires sur des humains animés par des sentiments contradictoires. L’instinct le pousse par exemple à envier un bébé ayant fait irruption au sein du couple qui lui avait offert une niche idéale et à manigancer un plan pour le supprimer. Passant de maître en maître, il atterrira chez un adolescent fan de Hitler et d’Eva Braun, en qui il trouve un tuteur sévère mais juste — du moins jusqu’à ce qu’il exterminela portée de chiots nés de son accouplement avec la jolie chienne d’en face.
Vengeurs à poils longs
Poils encore, mais de canis lupus cette fois avec Wolfen de Michael Wadleigh. Le film est un pur chef-d’œuvre, sa splendeur visuelle le disputant à l’intelligence de son propos et l’élégance de sa mise en scène. Wadleigh n’a tourné que deux films, celui-ci en 1981 et le docu-fleuve sur Woodstock en 1968, comme s’il avait, bien plus encore que Michael Cimino, fixé les bornes temporelles du Nouvel Hollywood, de l’utopie hippie au désenchantement face au retour de bâton reaganien et conservateur. Wolfen montre des meutes de loups, dont le dialogue dit qu’ils ont été exterminés en même temps que les Indiens américains — tiens, tiens… — hantant les ruines des villes — ici, New York — et se nourrissant des déchets de la société capitaliste et libérale : les exclus, malades et sans abri, dont l’Amérique ne sait plus que faire et qu’elle exile lentement vers ses périphéries pour bâtir ses grands ensembles dévoués au business et aux parvenus. Ici, la vengeance est celle d’une mauvaise conscience américaine dont les fondations reposent sur des génocides et qui se réincarnent dans une menace sauvage et belle, prête à assaillir de pas si honnêtes citoyens.
Des vengeurs justes, cela existe donc… Oui, mais dans des œuvres inclassables comme les affectionne particulièrement Hallucinations collectives.
Hallucinations collectives
Du 16 au 21 avril, au Comœdia
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