Découvert à l'automne sur la foi d'un album à se damner lointainement inspiré d'un célèbre roman d'Hemingway, San Fermin s'affirme comme l'une des plus fascinantes formations musicales de ces derniers mois. A sa tête, le jeune prodige Ellis Ludwig-Leone, formé à Yale et aux côtés de Nico Muhly, qui amène sa petite troupe au théâtre Les Ateliers, pour un PB Live en haute altitude. Stéphane Duchêne
Ludwig-Leone. Difficile de trouver nom plus doublement prédestiné au succès musical. Pourtant à l'adolescence, le jeune Ellis, fils d'artistes peintres, rêve surtout de basket-ball. S'il ne fera pas carrière, c'est en pratiquant ce sport qu'au lycée, il rencontre Allen Tate. Mais les deux partagent une autre passion, moins assumée, qui les rend définitivement inséparables : «Dans mon lycée, raconte Ellis, personne ne se souciait de musique. Trouver quelqu'un d'aussi passionné qu'Allen avec qui partager cela a été très important. On a alors commencé à travailler ensemble». Mais l'expérience tournant court, les deux amis se retrouveront plus tard.
Pour l'heure, Ellis file à Yale travailler à l'art de la composition, à la direction d'orchestre et surtout «à briser le schéma couplet-refrain». A la même période, il est l'assistant du protée musical Nico Muhly, lui-même ancien disciple de Philip Glass, avec lequel il apprend aussi à désapprendre : «Nico a été essentiel, avoue Ellis, il m'a beaucoup aidé à me décomplexer sur la question des frontières entre les genres musicaux. A réaliser que peu importe la musique qu'on fait, la seule question à se poser c'est : "est-ce que c'est bon ?"».
Orchestral indie rock
C'est néanmoins à la pop, avec laquelle il avait donc manqué son premier rendez-vous, que revient celui qui se voyait comme un aspirant Ben Folds et a usé l'Illinoise de Sufjan Stevens jusqu'à l'os : «A la sortie de l'université, confie-t-il, j'avais envie d'autre chose que tout ce sur quoi j'avais pu travailler avec mes professeurs. Je me suis mis à travailler sur les chansons dont j'avais envie. Même si je ne savais pas spécialement ce que j'allais en faire». Il a pourtant rapidement un projet en tête et c'est à Banff dans l'Alberta au Canada qu'il va s'assigner à résidence (d'artiste) pour en accoucher. Quelques idées l'accompagnent : celle d'un dialogue musical masculin/féminin et forcément amoureux et l'envie d'exploser les schémas. Une certitude aussi : la partie masculine sera entièrement dévolue à Allen Tate, intrigant jumeau vocal de Matt Berninger de The National.
L'enregistrement implique vingt-deux musiciens pour un album sur lequel il est impossible d'apposer la moindre étiquette esthétique – Ellis optant lui-même pour «orchestral indie rock». San Fermin, qui donnera ensuite son nom à ce qui n'a alors pas vocation à être un groupe, alterne ainsi les morceaux pop attrape-coeur (Sonsick, Bar, Daedalus (What We Have)), les ballades en clair-obscur (Methuselah, Oh Darling), les coups de poing à l'estomac (Torero) et des pièces entre musique de chambre et composition contemporaine (In Waiting, l'incroyable The Count). Des compositions que l'on peut butiner une par une mais qui forment également un tout dépassant la somme de ses parties :«J'ai été très attentif à créer l'équivalent musical d'un recueil de nouvelles indépendantes les unes des autres mais qui mises bout à bout formeraient un roman».
Corrida amoureuse
Ce roman, sublime, c'est celui de cet amour impossible entre un homme catastrophé par ses sentiments et une femme toujours distante, fatiguée de ses «mélodrames». Une histoire dont la phrase «I can't fall asleep into your arms» est le mantra sans cesse répété. «Il y a une friction permanente entre leur manière de voir les choses et de les exprimer» dit Ellis au sujet des deux amants. Et c'est de cette friction entre deux personnages de fiction que l'album tire toute sa beauté. A propos de Sonsick, l'une de ses pièces maîtresses, l'auteur propose une réflexion qui est aussi une clé de lecture pour l'ensemble du disque : «C'est une attaque de panique déguisée en fête. Ce qui m'intéresse, c'est ce qui se joue dans ce paradoxe». D'où sans doute cette fascination pour la manifestation taurine de la San Fermin qui donne son nom au projet.
Dans Le Soleil se lève aussi, autre histoire d'amour gâchée, dont une partie de l'intrigue investit ces étranges festivités de Pampelune, Hemingway écrit : «Personne ne vit complètement sa vie, sauf les toreros». Une phrase qui a fait son chemin dans l'esprit d'Ellis : «Je suis fasciné par ces gens qui risquent leur vie pendant les lâchers de taureaux ou à la corrida. Cette idée de vouloir se sentir plus vivant que jamais tout en frôlant la mort. C'est quelque chose que l'on peut retrouver lorsqu'on s'abandonne sans retenue à l'amour comme mon personnage masculin».
A la fin, funèbre, de l'album, on sera passé avec lui, avec elle, par tous les états. On ressort essoré comme après un encierro. Sur scène, la corrida amoureuse est assurée par huit musiciens dont Ludwig-Leone aux claviers et Allen Tate. Et même si le personnage féminin a changé d'interprète (après les filles de Lucius sur le disque et Rae Cassidy pour le tour américain voici Charlene Kaye) c'est bien sur la route, enfilant comme des perles les concerts sold out d'un bout à l'autre de l'Amérique, que San Fermin est devenu un groupe. Une manière de découverte de l'envers du rock pour celui qui continue de composer pièces classiques et ballets : « Avant de partir en tournée, de monter sur scène, on n'a qu'une idée très abstraite de la manière dont les gens perçoivent ce qu'on fait. C'est merveilleux d'être un jour à Vancouver, le lendemain à L.A., directement confronté au public qui apprécie votre travail le plus personnel et vous le dit. De vivre ça collectivement aussi, comme un vrai groupe». Quelque chose nous dit que ce n'est que le début.
San Fermin
Au Théâtre Les Ateliers, vendredi 18 avril
Infos pratiques et billetterie : http://www.petit-bulletin.fr/live/index.html