Les films de l'intranquillité

Dans la cour
De Pierre Salvadori (Fr, 1h37) avec Catherine Deneuve, Gustave Kervern...

Pierre Salvadori, cinéaste, a construit une œuvre attachante au sein du cinéma français, osant la comédie pour exorciser les démons de ses personnages et ses démons personnels. Christophe Chabert

Le jour où l’on rencontre Pierre Salvadori, pour un entretien assez bref et entre deux portes, le cinéaste n’est pas tranquille. Il se dit «fatigué», dit qu’il n’arrive pas à se concentrer et finit même par jeter une poignée de cacahouètes sur son producteur pour lui intimer l’ordre de se taire pendant l’entretien. D’autres indices montreront que Salvadori est, comme la plupart des artistes intègres, un grand angoissé. Par exemple, il sent qu’on aime son dernier film, Dans la cour, contre les précédents — et nous ne sommes pas les seuls, d’après lui…

«Je ne le vis pas bien» commente-t-il. «Après vous, Hors de prix et De vrais mensonges étaient des œuvres très personnelles, très complexes à mettre en place ; celui-là, je l’ai fait par épuisement, pas par renoncement. J’avais envie de me reposer de l’intrigue et de la fiction. Grosse erreur de ma part, car c’était encore plus épuisant.»

Voilà tout Salvadori : même quand il cherche la tranquillité, c’est l’intranquillité qui le rattrape.

«Tous mes personnages sont des êtres blessés»

Ce terme, inventé par Fernando Pessoa, correspond assez bien à son œuvre. On y voit des personnages ordinaires devant affronter des moments de crise ou rencontrant une personne qui est elle-même en crise. Cible émouvante, titre de son premier film, où deux tueurs sont incapables de supprimer une trop charmante voleuse d’œuvres d’art, définit assez bien le cinéma de Salvadori : la visée est tremblante car l’émotion finit toujours par prendre le dessus. Avec Les Apprentis, le film qui l’a mis sur orbite dans le cinéma français, deux losers partagent à la fois un appartement, leurs peines de cœur et leurs galères de fric ; une chronique douce-amère où Salvadori affirme ses qualités d’auteur, jamais prises en défaut même dans ses œuvres les plus faibles. Un excellent scénariste et dialoguiste, capable de conférer une vraie santé à ses personnages pour mieux ensuite sonder leur douleur de vivre et leur difficulté à être.

«Tous mes personnages sont des êtres blessés. Après vous commence par le suicide de José Garcia. Hors de prix, c’est l’histoire d’une prostituée. …Comme elle respire, c’est l’histoire d’une mythomane malade.»

Une fois seulement, Salvadori renonce à l’humour pour tourner un pur film noir, Les Marchands de sable ; dans ce polar urbain qui rappelle, en moins abouti, le Tchao pantin de Claude Berri, la justice sauvage se pratique sur fond de trafic de drogue, et même si elle n’est pas sans défaut, cette commande pour Arte est aussi âpre et violente que les films précédents étaient lumineux et légers.

«Au fond, je ne suis pas un cinéphile»

Avec ce que Salvadori qualifie lui-même de «trilogie» (Après vous, Hors de Prix et De vrais mensonges), on le voit poursuivre un idéal de la mécanique comique rigoureuse dont les figures vénérées seraient Ernst Lubitsch, Billy Wilder et Blake Edwards. Mais ce sens du timing entre en contradiction avec l’inscription réaliste de sa mise en scène : la Bretagne dans Après vous, la Côte d’Azur dans Hors de prix, Sète dans De vrais mensonges. À la sortie de ce dernier, Salvadori revendiquait ouvertement l’influence de Lubitsch, quitte à subir les foudres d’une comparaison peu glorieuse pour lui. Prudent, il dit aujourd’hui :

«Au fond, je ne suis pas un cinéphile».

Et de balayer l’ombre, pourtant flagrante, de Polanski, qui plane au-dessus de Dans la cour, son nouveau film.

«Ce qui a déclenché l’envie de tourner avec Catherine Deneuve, c’est le personnage de Marion dans Le Sauvage, son débit, sa rapidité, sa répartie, sa vitalité, son incohérence que j’adorais. J’ai écrit les dialogues et toute l’ouverture après avoir vu la copie restaurée du film de Rappeneau…»

Une comédie comme horizon, encore, même si Dans la cour est rattrapé en cours de route par la part la plus noire de Salvadori. Les personnages y sont inquiets, déprimés, désespérés : un ex-footballeur blessé, un sans-papier illuminé, un architecte névrosé… Il faut dire que le cinéaste a vu ses deux acteurs fétiches, Guillaume Depardieu et Marie Trintignant, disparaître prématurément ; c’est comme si ce dernier film laissait entrer les fantômes que les précédents maintenaient soigneusement à distance, et avec eux la peur de vieillir, de passer à côté de sa vie, d’être en bout de course… Salvadori raconte une nouvelle de Tchekhov comme source d’inspiration et point de départ de Dans la cour :

«Une jeune mariée surprend son époux en train de dormir avec une grimace. Et le lendemain, au petit-déjeuner, la grimace est encore là.»

Un pur récit d’intranquillité, pour un cinéaste définitivement intranquille.

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