Le fond de l'AIR effraie

«La vérité est ailleurs». C'est ce que semble nous dire par sa puissance iconique la soucoupe volante qui survole l'affiche de la huitième édition des Assises Internationales du Roman, qui n'est pas sans rappeler le célèbre poster illustrant la maxime de la série culte X-Files. "Ailleurs" c'est ici aux Assises : les invités y sont autant de visiteurs de notre monde qui, depuis les véhicules fictionnels que sont les romans, observent en étrangers ou en protagonistes, ce qui le fait ou l'a fait. La dialectique romanesque est, malgré son infinité de formes, immuable et vieille comme le roman lui même : la sphère intime traverse l'universel, le vaisseau de la fiction transcende le réel.

"La trahison", "La rupture amoureuse", "Les vies ordinaires" sont autant de banalités portant le masque de la tragédie, quand désir et deuil peuvent se muer en expérience métaphysique – "Être ou ne pas être" – moteur commun de l'individu et de l'humanité. Comme le dit Boubacar Boris Diop dans l'interview ci-contre : «le génocide est un désastre collectif, mais il est vécu par chacun dans la solitude de sa conscience». Cela vaut, toute proportion gardée, pour nombre d'expériences humaines. Les conflits vécus intimement par un Sorj Chalandon (au Liban, en Irlande) ou la chute du régime Ceaucescu telle que racontée par Patrick McGuinness (qui a vécu dans la Roumanie communiste) traduisent ainsi cet état des choses.

C'est ce mouvement de balancier perpétuel qui fait la littérature, laissant éclater par le prisme du regard de l'auteur sa capacité d'absorption et de restitution, la vérité des faits. Parfois telle que notre imagination n'aurait pu la concevoir, si crue que seul le passage par la fiction permet de "dire". La fiction devient ainsi un "journalisme narratif", propre à faire (re)vivre sous nos yeux des mondes dont nous ignorions la nature, des crimes occultés (la traite négrière chez Léonora Miano, la déliquescence des réserves indiennes pour David Treuer) ou des personnages dont la dimension romanesque était inscrite dans leur ADN (Danton, Hugo, Churchill, Michel-Ange, Courbet, racontés par Hugo Boris, David Bosc et Léonor de Récondo).

Au fond, les thèmes fondateurs de ces Assises 2014 illustrent l'exergue de Musset : «Tout le réel n'est pour moi qu'une fiction». Une autre façon d'emmener la vérité ailleurs, pour nous la donner à voir sous un jour plus éclairant.

Stéphane Duchêne

Assises Internationales du Roman
Aux Subsistances, jusqu'au dimanche 25 mai

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Vendredi 8 mai 2020 Du 11 au 17 mai, se produiront les Assises Internationales du Roman. Une nouvelle qui prend une résonance quasi-paranormale dans le contexte d'un paysage culturel sinistré par les conséquences de la grande attaque du Covid-19. Le festival a dû faire...
Mercredi 18 novembre 2015 Dans "Profession du père", Sorj Chalandon donne le premier rôle à son paternel dément et montre à quel point celui-ci a irradié ses six précédents ouvrages. Et, revenant dans la ville de son enfance, Lyon, plonge dans ses racines avec drôlerie et...
Mardi 14 octobre 2014 Emmanuel Meirieu revient dans le théâtre de ses débuts, la Croix-Rousse, présenter sa dernière création en date, "Mon traître". Un travail court, ciselé et percutant, adapté de deux livres de Sorj Chalandon. Critique et propos – émerveillés - de...
Mardi 20 mai 2014 Quand un Américain, un Italien et une Française écrivent sur les guerres contemporaines, sur la guerre tout court, cette expérience indépassable, que (...)
Mardi 20 mai 2014 Auteur de "Murambi, le livre des ossements", extraordinaire roman pluriel sur le génocide des Tutsis, l'écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop est l'invité d'Assises Internationales du Roman plus que jamais en prise avec le réel. Il revient pour...
Mardi 13 mai 2014 Indissociable de sa ville, Istanbul, Orhan Pamuk, couronné du prix Nobel de littérature en 2006, est l’un des plus précieux invités des Assises Internationales du Roman qui débutent lundi. Esquisse de portrait. Nadja Pobel
Jeudi 2 janvier 2014 Il est des auteurs qui arrivent presque par enchantement dans l’univers d’un metteur en scène. C’est le cas de Sorj Chalandon, qui a croisé la route d’Emmanuel Meirieu avec "Mon traître" et "Retour à Killybegs", deux splendides romans devenus un...
Vendredi 27 septembre 2013 Et si on tenait là le Goncourt 2013 ? Encore faudrait-il pour cela que Sorj Chalandon figure toujours dans la deuxième liste de ce précieux prix, qu’on ne (...)

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X